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chants du pâtre et du tintement des clochettes ; là se déroule, sous ses aspects les plus gais, le cycle entier de la vie alpestre. Bien au-dessus de ces oasis se groupent encore en hameaux bon nombre de demeures humaines : tels sont par exemple Vent et Rofen, sous le cailloutis branlant des moraines, à la lisière des éternels névés. Puis au-delà commence la zone que l’habitant de l’alpe appelle Hochjoch : neuf mois d’hiver et trois mois de froid, dit-on là-bas. Quelques maigres pâtis, derniers vestiges d’un monde organique lent à périr, pointent toutefois çà et là dans ce désert, et l’avare villageois ne laisse pas d’exploiter ces restes de vie chétive. Il envoie, l’été, ses troupeaux brouter au Hochjoch tout ce qui leur tombe sous la dent, et mainte brebis paissante, que la convoitise pousse à la conquête de quelque plante des régions plus clémentes, égarée à ces altitudes, tombe au fond d’un gouffre glacé.

Voilà le théâtre au milieu duquel se développe le drame rustique de Mme de Hillern. La vue seule du décor n’est pas de nature à faire pressentir quelque mièvre « paysannerie. » Aussi bien qu’on ne s’attende pas à voir dominer ici les notes douces, les fins linéamens, les demi-sourires de la Mare au Diable de George Sand ou de la Barfüssele d’Auerbach. Tout ce qui offre apparence de ton reposé reste à l’arrière-plan ; le devant de la scène est tout en arêtes vives et en vigoureux reliefs : la Fille au vautour, son père le fermier, Vincent l’amoureux et Joseph le tueur d’ours sont autant de personnages tout d’une pièce, autant de types équivalens pour l’intensité de la sauvagerie.

Wallburga ou, familièrement, Wally, l’héritière du plus riche domaine de la Sonneplatte, a gagné son surnom de Fille au vautour en allant dénicher dans l’aire, au-dessus d’un abîme vertigineux, un jeune gypaète dont par surcroît elle a tué la mère en combat singulier. C’est la montagnarde la plus robuste, la plus fière et aussi la plus jolie qui soit à la ronde. Seul, Joseph Hagenbacher, de Sölden, le chasseur de chamois, peut marcher de pair avec elle. Il s’est, lui aussi, couvert de gloire en abattant un ours énorme qui semait la terreur dans le Vintschgau. Wally se trouvait à Sölden comme il rapportait son trophée, et, à la vue du héros, au récit de son valeureux exploit, elle a senti battre d’amour son cœur de seize ans. Malheureusement, avant même qu’elle ait pu parler à Joseph, et qu’en vertu du dicton : qui se ressemble s’assemble, le beau chasseur ait eu le temps de s’éprendre d’elle, son père le fermier vient tout gâter. Le Stromminger, — c’est son nom, — a passé jusqu’alors pour l’homme le plus vigoureux de la montagne ; à l’idée qu’il lui faut enfin céder le pas à un « jeune, » son orgueil se révolte ; il insulte Joseph et le défie. One lutte corps à corps s’engage sur la place de Sölden, et le vieux titan est