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vaincu. Vainement son adversaire, trop généreux pour faire opprobre à une tête chenue, prodigue ensuite à Stromminger les bonnes et cordiales paroles ; celui-ci repousse haineusement tout essai de réconciliation et se retire, blêmissant de rage, avec sa fille. Adieu alors toutes les espérances de Wally ; son rêve d’amour est mort-né : une barrière infranchissable la sépare désormais de Joseph. Chemin faisant, elle éclate en sanglots, et, pressée de questions par son père, elle ne peut s’empêcher de lui dire la vérité. Pour unique réponse, le coléreux vieillard d’un coup de son bâtons lui rompt à demi l’échine. La scène, passablement sauvage, est peinte à grands traits, et le cadre en est magnifique ; qu’on en juge :

« Ce fut pour cette âme comme l’averse de grêle pour la fleur en train de s’épanouir. Un instant, la douleur de l’enfant fut telle qu’il lui fut impossible de faire un mouvement. A part de grosses gouttes qui coulaient de ses paupières demi-closes, comme la sève qui s’échappe d’un rameau brisé, tout son être paraissait mort et éteint. Le Stromminger attendait à côté d’elle, pestant tout bas comme un bouvier qui attend auprès de sa bête qui s’est affaissée sous ses coups… Tout aux environs offrait l’image d’une morne solitude ; pas une voix d’oiseau, pas un murmure dans le branchage n’en interrompait le silence. Sur la rampe étroite et rocheuse que suivaient le père et la fille, nul arbre ne verdoyait, nulle bête ailée ne faisait son nid. Il y avait des milliers d’années, ce coin de terre avait dû être le théâtre d’un effroyable combat des élémens ; à perte de vue, on n’apercevait que les débris gigantesques d’une sauvage révolution de la nature. A présent, les feux dont l’éruption avait soulevé ce sol étaient éteints ; les eaux dont le déchaînement torrentiel avait entraîné ces masses de terrain s’étaient écoulées, les colosses immobiles gisaient là projetés les uns sur les autres ; les forces qui les avaient mis en branle s’étaient anéanties, et tout cet endroit n’était plus, en quelque sorte, qu’un morne cimetière, un chaos de monumens funèbres, au-dessus desquels se dressaient, pareils à la pensée aspirant au ciel, les blancs reliefs des glaciers. L’homme seul, éternellement agité, continuait en ces lieux la lutte sans trêve de la création, et troublait de ses convulsions la paix sublime de la nature. »

Une année durant, le Stromminger et sa fille n’échangent plus une parole en dehors des nécessités du travail ; puis, un jour, le fermier mande Wally, et, sans autre préambule, lui signifie qu’elle épousera dans le délai d’un mois Vincent Gellner, un riche fermier du pays : à quoi Wally répond tout net qu’elle ne sera jamais la femme de Vincent ; qu’elle n’aime point, et n’aura d’autre époux que Joseph, qu’elle aime. Une nouvelle scène de violence éclate et aboutit à une sentence de bannissement prononcée par le père contre