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l’enfant récalcitrante : Wally gardera le bétail au Hochjoch, sur les flancs glacés du Murzoll, jusqu’à ce qu’elle vienne à résipiscence ; l’hiver seulement, il lui sera permis de redescendre dans la vallée ; encore n’entrera-t-elle plus dans la ferme ; elle restera dans l’étable en compagnie des vachères.

Avec l’exil de Wally s’ouvre le deuxième acte du drame. Dès la pointe du jour le lendemain, la jeune fille commença la sinistre ascension, sous la conduite du Klettenmaier, un vieux domestique sourd, le seul qui, en raison même de sa surdité, eût pu grisonner au service d’un maître toujours grondeur. Une autre personne encore fit escorte à l’enfant du Stromminger : c’était la Luckard, une pauvre servante de la ferme, « qui avait tout vu d’avance dans les cartes ; » cette femme avait en quelque sorte servi de mère à Wally. « La Luckard accompagna Wally jusqu’à l’endroit où la montée devenait tout à fait raide. Là elle prit congé d’elle et s’en retourna… Wally se mit à gravir la pente tout en regardant au-dessous d’elle sur la route, où la vieille cheminait en pleurant dans son tablier. Alors elle se sentit presque attendrie elle-même. La Luckard avait toujours été si bonne avec elle ; toute faible et misérable, cette femme du moins l’avait aimée. Tout à coup elle voit la servante, là-bas sur le sentier, se retourner encore une fois et lever la main pour lui montrer quelque chose. Elle suit la direction de son doigt, et qu’aperçoit-elle ? un objet qui flotte dans l’air le long des rochers, d’une allure pesante et mal assurée, comme un cerf-volant auquel le vent ferait défaut. Il va toujours, donnant une petite poussée en avant, puis retombant pour se redresser derechef avec peine. C’était le vautour de Wally, qui, avec ses plumes rognées, l’avait suivie durant tout le trajet, voletant ainsi laborieusement. Ses forces paraissaient épuisées, et il ne pouvait plus que clopiner au vent en battant de l’aile.

« Jeannot ! mon cher Jeannot ! comment ai-je fait pour t’oublier ? s’écria Wally en bondissant comme un chamois de roche en roche pour aller par le chemin le plus court chercher le fidèle animal. La Luckard s’arrêta jusqu’à ce que la jeune fille eût regagné le sentier en bordure ; puis elle la salua de nouveau comme après une longue séparation. Enfin Jeannot fut atteint… Wally le mit sous son bras comme une poule et se sépara de la Luckard, qui de nouveau se prit à pleurer. »

A côté de ce petit tableau de genre, qu’il nous soit permis de citer, comme un autre spécimen de la manière large de l’auteur, une page de poésie descriptive. Wally venait d’atteindre le dernier village à l’entrée de la région des glaciers. Là elle s’arrêta et, s’appuyant sur son bâton ferré, elle abaissa ses regards sur le hameau silencieux, encore à demi plongé dans les songes.