Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orage elle était à la recherche d’une chevrette égarée, elle se trouva tout à coup en présence de Joseph. Celui-ci n’était pas seul ; il portait dans ses bras une charmante jeune fille qu’un coup de tonnerre venait de jeter presqu’en syncope : c’était, disait-il, une servante du Vintschgau qui allait se placer à Zwieselstein et qu’il s’était chargé de conduire par la montagne. Wally, toute tremblante d’une vague jalousie, reçoit les deux voyageurs dans sa cabane. Là, au bout de quelques instans, un duel sanglant s’engage entre le chasseur et le vautour imprudemment provoqué. Joseph terrasse le redoutable gypaëte, puis, non content de l’avoir terrassé, il veut l’occire « au vol » d’un coup de fusil. Wally s’y oppose énergiquement ; elle arrache la carabine des mains du chasseur décontenancé, et finalement le tueur d’ours se retire avec sa compagne après avoir cruellement persiflé en manière d’adieu la pauvre exilée qui a tant péché et souffert pour lui.

Le reste de la saison s’écoula sans apporter de changement dans le sort de Wally ; l’hiver venu, elle alla chercher une condition de l’autre côté du glacier, dans le Schnalserthal ; puis, à l’époque du renouveau, elle grimpa derechef au Murzoll ; mais cette fois ce ne fut pas pour longtemps. Son père le Stromminger mourut dans l’été, et la jeune fille put enfin reprendre pied sur son sol natal. Avec le vieux Klettenmaïer, elle retrouva dans la ferme Vincent Gellner, toujours épris, bien que son occiput eût gardé la trace du coup de hache. Son premier soin fut de le relever de sa gérance, car moins que jamais ses obsessions ne lui agréaient. En dépit de la fatale scène du Hochjoch, Wally espérait encore gagner l’amour de Joseph. A peine rentrée au village, elle était devenue, par le charme étrange de sa personne non moins que par sa fortune, le point de mire de tous les fils nubiles à dix lieues à la ronde ; aucun d’eux toutefois n’était de taille à mettre à merci une telle femme. — Celui qui pourra se vanter d’avoir eu de moi un baiser, dit-elle un jour par bravade, celui-là je l’épouse ; mais quiconque n’a pas assez de nerf pour me ravir un baiser ne possédera jamais la fermière de la Sonneplatte. — Et chacun de tenter l’aventure, dans l’espoir de prendre au mot la jeune fille. Celle-ci s’amusait de ce jeu sauvage où brillait sa force supérieure ; elle savait que son nom circulait au loin, et elle pensait que Joseph ne pourrait manquer de venir à son tour.

Joseph pourtant ne venait pas. Wally, en revanche, finit par être mise au courant des assiduités du chasseur auprès d’une certaine Afra, servante à l’auberge de Zwieselstein. Afra était cette même jeune fille en compagnie de laquelle le tueur d’ours avait franchi l’année précédente le Murzoll. Nul doute n’était plus permis : un jour que Joseph avait reçu quelques blessures en domptant un