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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/372

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saisi le moment, je me suis jeté sur lui par derrière, et je l’ai poussé par-dessus le parapet. » Ainsi s’était accompli, soit dit pour mémoire, l’arrêt du bonhomme Murzoll.

Au moment où la fermière de la Sonneplatte, affolée par l’épouvantable forfait de Vincent, entraîne le jeune homme pour le précipiter avec elle dans l’Ache, à l’endroit même où le crime a été commis, un appel expirant de détresse monte du fond de l’abîme. Wally s’arrête et lâche sa proie ; elle a reconnu la voix de Joseph. Le chasseur n’a pas roulé jusque dans l’eau du torrent ; il a été retenu, agrafé dans sa chute par quelque saillie de rocher. La jeune fille vole aussitôt par tout le village, criant à l’aide et frappant aux portes. Bientôt les gens sont sur pied ; on apporte toutes les cordes qu’on peut trouver, on les lie fiévreusement bout à bout, et l’on forme la chaîne au bord du plateau ; mais qui osera plonger dans le gouffre pour y chercher la victime ? Qui ? Ce sera Wally, la dénicheuse de vautours. En un clin d’œil, elle a escaladé la balustrade ; les villageois, la sueur de l’angoisse au front, dévident le câble en tâtant chaque nœud au passage. L’ancien du village commande la manœuvre. La pelote file appesantie de plus en plus ; puis soudain elle se détend et flotte dans l’espace. Une des attaches aurait-elle manqué ? Non ; la corde, halée, résiste ; Wally a posé le pied quelque part ; mais, bien que le crépuscule commence à poindre, une pluie fine et glacée, qui tombe dans le gouffre, empêche d’y rien discerner. Un second engin de sauvetage, apporté par le Klettenmaïer, est jeté aux mains de la plongeuse pour que celle-ci y attache Joseph. Après plusieurs minutes d’une anxieuse attente, une secousse imprimée d’en bas aux deux cordes annonce aux travailleurs qu’ils peuvent maintenant tirer à eux. C’est le moment le plus critique, car il faut que le halage de l’un et l’autre câble s’effectue bien à l’unisson ; une seconde de relâchement et tout est perdu. Les villageois affermissent leurs pieds sur le sol : les veines se gonflent aux jambes, aux bras et aux fronts, et bientôt la double épave émerge au travers du brouillard ; Wally et Joseph sont sauvés.

Il va sans dire que Joseph n’est point mortellement blessé ; Wally l’a fait transporter chez elle, l’a confié aux soins d’Afra, et s’en est retournée au Hochjoch pour y expier sa faute et y dévorer sa douleur dans la solitude. Vincent a disparu ; on apprend bientôt qu’il s’est suicidé en Italie. Joseph, de son côté, finit par se rétablir ; libre à lui désormais d’épouser Afra et de rester au domaine de la Sonneplatte, dont Wally déclare se dessaisir en sa faveur ; mais que deviendrait la conception romanesque si Joseph n’aimait pas Wally ? Il l’aime effectivement, il l’a aimée de tout temps ; un mauvais sentiment d’orgueil l’a seul empêché d’en convenir, et s’il a montré tant de sollicitude pour la servante de Zwieselstein, s’il l’a vengée