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SŒUR DOCTROUVÉ

La ville de Besançon est une des plus vivantes qu’il y ait en France. L’industrie horlogère y fait prospérer une bourgeoisie riche et pulluler une population de travailleurs. Grâce à la ceinture des remparts, les habitans y paraissent d’autant plus nombreux qu’ils ne peuvent se répandre dans des faubourgs et qu’ils sont forcés de s’entasser à l’étroit dans un espace très resserré. Aussi les maisons sont-elles hautes et les rues fourmillantes. N’était l’horizon bordé de montagnes qui empêchent d’oublier qu’on est en Franche-Comté, on se croirait volontiers dans un quartier de Paris ; mais à mesure qu’on s’éloigne de Battant, où s’agglomèrent les ouvriers, et qu’on remonte la Grande-Rue, où s’étalent les boutiques, à mesure qu’on s’avance vers la ville haute, on entre dans la province. Les étages s’abaissent peu à peu, les portes cochères remplacent les vitrines des marchands, et la vie semble baisser la voix en approchant de la rampe qui conduit à la cathédrale. Toutefois cette rampe n’est pas solitaire, car la ville est dévote, et, le dimanche surtout, le chemin de l’église est encombré de fidèles. Même pendant la semaine, beaucoup de promeneurs y passent pour aller jouir de l’admirable coup d’œil qu’on a du haut du terre-plein qui précède le parvis. Où la solitude règne absolument, c’est derrière la cathédrale. Là se trouve un des deux quartiers nobles de Besançon. L’autre, englobé dans les rues populeuses qui débouchent sur le quai du Doubs, a perdu son caractère et s’est laissé envahir par la bourgeoisie. Mais celui-ci n’a pas été entamé ; il se compose d’une rue unique, à la pente raide, au pavé caillouteux enchâssé d’herbe, et qui finit en cul-de-sac contre le rocher. Dans ce coin, les bruits de la ville arrivent à peine, étouffés, lointains, pareils aux murmures d’une eau invisible. La masse de la cathédrale les intercepte et masque même la vue de la cité. Il semble que les hôtels nobles, endormis dans leurs souvenirs d’autrefois, s’abritent de la vie moderne derrière cet écran de pierre.