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l’accompagner avec des démonstrations de douleur fort peu philosophiques, ces exemples sont loin d’épuiser les témoignages de cette sorte de manie chez les Grecs. On la retrouve à Rome souvent chez des empereurs, fous il est vrai pour la plupart, mais non pas tous pourtant : on peut citer dans la liste Jules César, Auguste et Marc-Aurèle, à côté de Caligula, de Néron et de Commode, ajoutons aussi Hadrien, qui rendit ce genre d’honneurs à une quantité de chevaux et de chiens. Il bâtissait un magnifique monument à Antinoüs et poussait le scandale jusqu’à l’apothéose de ce vil favori. Quelquefois, dans l’empire romain, tout un peuple parut, saisi de cette singulière fureur. Rien n’en donne mieux l’idée que ce que raconte Pline l’Ancien d’un perroquet apprivoisé qui saluait par leurs noms les principales personnes de la famille de Tibère. Il devint tellement cher à la multitude qu’après avoir mis en pièces le meurtrier de l’oiseau, elle fit des obsèques pompeuses à son favori, déposé dans un cercueil, couvert de bouquets, porté par deux nègres, suivi d’une immense foule, et accompagné de cornets, de fifres, de clairons et de hautbois.

Il appartenait au christianisme de combattre ces idolâtries honteuses et d’autres superstitions que l’antiquité n’avait cessé de mêler aux idées religieuses d’où était sorti en grande partie le faste funéraire : non content d’attaquer de front les coutumes dégradantes qui traitaient la bête comme l’homme et qui déifiaient l’humanité par l’apothéose de ce qu’elle renfermait de moins digne de respect et de sympathie, il lutta contre ces hécatombes humaines, application abominable de l’idée d’être agréable aux morts et de cette croyance que la vie future était la continuation des goûts et des habitudes de l’existence actuelle. En combattant chacune de ces idées fausses et barbares, en remplaçant l’orgueil par l’humilité et le respect de la vie humaine, en montrant dans l’existence ultérieure un monde tout nouveau, sans rapport avec ce qui avait fait ici-bas nos joies et nos douleurs, le christianisme allait opérer, non sans une résistance prolongée, et qu’il n’a pas réussi sur tous les points à vaincre également, une mémorable révolution, heureusement complète pour l’abus le plus grave, les sacrifices sanglans. Agissant lui-même sur le faste funéraire pour en modifier l’inspiration et les formes, sans doute il n’en préviendra pas tous les excès, mais souvent il l’élèvera jusqu’à lui. Ce faste devra subir également en bien ou en mal l’action profonde de mœurs, d’idées, d’institutions bien différentes de celles des anciens. C’est cette seconde période de son développement qu’il me reste à retracer.


HENRI BAUDRILLART.