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autres et se gênent pour mûrir. Du reste, les cultivateurs d’outremonts emploient pour la fabrication du vin les procédés les plus primitifs. A mesure qu’il arrive de la vigne, le raisin est déversé dans de vastes réservoirs carrés en maçonnerie : c’est là qu’on le foule aux pieds, qu’on le presse ; au bout d’un temps plus ou moins long, on soutire le moût que l’on transporte dans les cuves ; il y séjourne jusqu’au milieu du mois de mars, époque où l’on s’occupe de le transvaser par crainte des chaleurs. A part cela, aucun souci de l’exposition des celliers, de la dimension des cuves, du degré de fermentation. Quant aux opérations multiples en usage chez nous : le houillage, le soufrage, le fouettage, nul n’y songe ni ne les connaît. Aussi ce vin n’est-il jamais dépouillé et garde-t-il un fort goût de terroir : « épais, violent et plat, » tel Saint-Simon le jugeait en trois mots et tel il est resté depuis. De plus il s’aigrit très facilement ; il faut le consommer dans les deux ou trois ans qui suivent la récolte ; on cite même certaines localités de l’Aragon où il ne se conserve guère plus d’une année. Ajoutez à cela l’odeur de l’outre en peau de bouc dans laquelle on l’enferme communément pour le vendre en détail, et vous comprendrez sans peine la répugnance qu’ont manifestée tous les voyageurs pour ce grossier breuvage, empoisonné à plaisir.

Depuis quelque temps déjà la députation générale de la province s’est inquiétée de cet état de choses ; on a tenté à plusieurs reprises d’appliquer aux vins de la Rioja les procédés usités dans nos contrées, et d’obtenir ainsi un produit comparable à ceux des crus de la Bourgogne ou du Bordelais ; jusqu’ici ces tentatives ont assez mal tourné. J’ai rencontré moi-même à El Ciego, non loin de Logroño, un de nos compatriotes, vigneron girondin, transplanté en Espagne avec sa famille depuis quelque quinze ans. Il était venu d’abord officiellement mandé par la province, aux appointemens annuels de 3,000 francs ; il allait de village en village, donnant des leçons pratiques, enseignant aux gens du pays la manière dont on fait et dont on soigne le vin : peine perdue. Cinq ou six viticulteurs au plus se décidèrent à suivre ses conseils, encore étaient-ils mal installés, plus mal outillés ; ils ne pouvaient se résoudre aux dépenses les plus nécessaires. Pourtant notre homme est demeuré au compte d’un grand propriétaire qui lui a facilité tous les moyens de continuer ses essais ; non-seulement il fabrique et traite les vins à la façon de France, mais il a pris soin de faire transporter là-bas des cépages du Médoc. Ces vignes, il est vrai, produisent quatre fois moins que les vignes du pays ; en revanche, le vin obtenu est infiniment supérieur : il est beaucoup plus limpide, quoique toujours un peu haut en couleur ; il a l’avantage de pouvoir être mis en bouteilles et de se conserver ainsi longues années. On a voulu le