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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/454

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énergiques, et, le jour où elle pourra se manifester, des représailles terribles sont à craindre. Ceux qui connaissent les Philippines savent que souvent les naturels de cet archipel ont eu des momens d’emportemens furieux précédés de plusieurs années de calme.

Avant le rétablissement de la monarchie dans la Péninsule, les Philippines et la Havane eussent pu être rattachées pour toujours à la mère-patrie, si on leur eût offert d’entrer aux cortès par des députés de leur choix. Cette concession eût été acceptée avec reconnaissance par les chefs des insurgés cubains et par les créoles des Philippines. On a préféré combattre les uns au risque de perdre dans une longue lutte et sous un climat meurtrier l’élite de l’armée, déporter et étrangler les autres par peur d’une révolution dont l’explosion n’est peut-être qu’ajournée. Il suffit d’envisager le passé et l’état présent de l’archipel des Philippines pour se rendre compte des causes qui pourront un jour enlever cette colonie à l’Espagne. Une séparation immédiate n’est cependant pas à désirer : les habitans de cet archipel sont en général trop nouveaux en politique pour avoir la prétention de se gouverner aujourd’hui eux-mêmes. Ils retomberaient sans aucun doute sous le joug de maîtres plus durs et plus exigeans que ne le sont les Espagnols. En transcrivant ici mes notes, je n’ai qu’une pensée, exempte de tout sentiment hostile contre un noble pays ; cette pensée, ce désir est de convaincre l’Espagne de la nécessité de compléter, (moralement comme matériellement, une conquête commencée il y a déjà plus de trois siècles.


I

Les Philippines sont situées entre les 5e et 20e degrés de latitude nord et les 115e et 125e degrés de longitude est. Lorsqu’à Manille, leur capitale, midi sonne, il est à Paris sept heures cinquante-quatre minutes du soir. Criblées de cônes volcaniques éteints ou en activité, ces îles sont plus que notre vieille Europe soumises aux causes actives qui travaillent sans cesse à transformer l’écorce terrestre. Nulle part le mouvement des eaux et des matières ignées ne produit des tremblemens de terre aussi formidables et aussi fréquens. En 1627, c’est une des hauteurs les plus élevées des montagnes du Caraballo qui s’effondre dans un gouffre immense. En 1675, à Mindanao, le versant d’un mont se déchire, et il en sort un torrent d’eau salée qui inonde pour toujours de vastes plaines couvertes jusqu’alors de cultures. En 1767, le Mayon de l’île Luçon rejette de son sein une telle quantité d’eau que cinq villages sont détruits. En 1754, le cratère du volcan de Taal, qui n’est éloigné de Manille que de 48 kilomètres, vomit des ruisseaux de bitume et