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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/462

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sont rares. Des pluies trop prolongées et un ciel sans nuage pendant quatre mois s’opposent sans doute à leur développement. Il y a cependant d’admirables orchidées, des saxifrages merveilleux, des pervenches roses, des gardénias dont les parfums pénétrans vous suivent partout. C’est dans l’île Luçon que croît aussi l’ylang-ylang dont l’arôme exquis est devenu dans ces derniers temps à la mode en France et en Angleterre.


II

Si c’est à Magellan, à son lieutenant El Cano, et plus tard à Le-gaspi, que Charles Ier et Philippe II durent la découverte de l’archipel qui nous occupe, c’est à l’influence des ordres religieux sur les indigènes que l’Espagne en a dû la paisible possession. Pendant trois siècles et demi, c’est à peine s’il a fallu recourir sérieusement trois ou quatre fois à la force des armes pour comprimer des révoltes partielles.

Lorsqu’en 1570, Legaspi passa son armée en revue dans la province de Leyte, il trouva qu’elle se composait de 280 soldats. Un an plus tard, la ville de Manille était pourtant déjà construite sous la direction de l’architecte de l’Escurial, et à partir de ce moment l’Espagne put considérer sa domination comme assurée. En 1572, quelques moines augustins avaient conquis également, sans autre arme que la parole, les populations des îles centrales connues sous le nom de Visayas. Ces conquérans spirituels ne suffisant bientôt plus à la tâche appelèrent à leur aide les jésuites, les dominicains, les franciscains et les récollets, qui s’empressèrent d’accourir d’Espagne « pour cultiver la jeune, vigne du Seigneur et lui faire produire tout le fruit qu’elle pouvait donner. » Ils ont réussi à maintenir les indigènes dans une longue obéissance en les laissant croupir dans une ignorance absolue.

Afin de se rendre compte du changement survenu dans l’archipel depuis qu’il appartient à l’Espagne, il faudrait posséder une notion à peu près exacte de sa civilisation avant cette époque. Rien n’est moins aisé, puisque les premiers moines qui débarquèrent à Mindanao, à Cébu et à Luçon, n’ont presque rien écrit de ce qu’ils y ont vu. Les gouverneurs politiques et militaires de cette époque ont eu la même indifférence pour le passé de ces contrées. Le croira-t-on ? on ne sait même pas aujourd’hui le nom que portait autrefois l’île Luçon, lorsque ceux des autres îles, inférieures en étendue, sont cependant connus. En voyant que le riz était battu par les femmes indigènes dans de longs cubes en bois qu’elles appelaient luçon, les premiers Espagnols qui débarquèrent dans ces parages donnèrent à l’île où allait s’élever Manille ce nom singulier, qui lui