Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personne qu’il rencontra dans un bosquet de bambou fut une jeune femme qui tissait un morceau d’étoffes en fibres d’abaca. Son aspect était modeste, et quant au costume il était identique à celui d’une Indienne chrétienne. Plus haut dans la montagne, il vit un jeune garçon à peu près nu, qui jouait d’une sorte de luth appelé baringbau ; trois de ses compagnons l’accompagnaient avec des harpes grossières et une guitare, faite par l’artiste lui-même, d’après un modèle européen. Les huttes étaient d’un aspect misérable, formées de bambous et recouvertes de feuilles de palmier. Dans l’intérieur, le voyageur ne vit que des flèches, des arcs et une sorte de marmite. Autour de chaque habitation, il y avait un petit champ cultivé, renfermant des patates douces, du maïs, des calebasses et des cannes à sucre. Ils avaient aussi des champs de tabac qu’ils tenaient très cachés par crainte des douaniers espagnols ; pour les protéger contre leur visite, ils hérissent l’herbe qui entoure les plantes de lancettes en bambou appelées pujas, assez aiguës et assez fortes pour traverser une chaussure européenne.

Ces sauvages ne vivent jamais à des hauteurs moindres de 1,500 pieds au-dessus du niveau de la mer. Chaque village n’est peuplé que de 50 hommes et 20 femmes environ, y compris les enfans. Leur nourriture se compose de bananes, de calebasses et de cannes à sucre pour sucer ; mais chaque semaine, le chef de la famille tue un ou deux sangliers et quelquefois un chevreuil. Ils ont des chiens pour chasser et des chats pour détruire les rats qui rongent les cultures. Quelques-uns ont des poules, mais pas de coqs de combat comme les Indiens des plaines, lis vendent à ceux-ci le miel qu’ils récoltent en abondance dans les creux des rochers, une sorte de résine appelée pili, et un peu d’abaca. Ils n’ont ni médecins, ni sorciers, mais ils croient en un Dieu, — du moins ils l’affirment lorsque les missionnaires s’efforcent de les convertir, — ce qui n’empêche pas de pratiquer certaines coutumes catholiques, dans l’espérance de conjurer un sort contraire.

Les Igorrotes traitent leurs femmes avec douceur ; ils chassent et cultivent sans leur aide. Ils sont sujets aux fièvres et à de violens maux de tête. Pour guérir ce dernier malaise, une incision légère est pratiquée au front du malade. Le fer leur est fourni par les Indiens ; les sauvages en font des pointes de lances et de flèches, pendant que les femmes tressent la corde des arcs, ce qui demande une certaine force. Chaque père de famille est maître absolu chez lui et ne reconnaît au dehors aucune autorité. S’ils ont une guerre avec leurs voisins, les plus braves se mettent à la tête de la tribu, mais aucun chef n’est élu, En somme, ils sont paisibles et doux, et leur cruauté ne se révèle que lorsque la mort frappe leur femme