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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/470

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ou leur enfant. Il faut alors, selon la coutume, qu’une autre femme et qu’un autre enfant périssent. On ne punit pas le meurtrier, et les corps des victimes ne sont même pas enterrés.

La polygamie est permise, mais il est rare qu’un Igorrote ait plus d’une compagne. Le jeune homme qui veut se marier charge son père de traiter du prix de sa fiancée avec le père de cette dernière. Celui-ci exige dix couteaux en bois coûtant de 2 francs à 3 francs, et environ 60 francs en argent. Il faut quelquefois deux ans à un prétendant pour parfaire cette somme, qui est divisée entre tous les parens de la jeune femme. S’ils sont nombreux, il reste fort peu de chose au père, lequel est pourtant obligé de donner un grand festin le jour des noces, festin arrosé abondamment par du vin de palmier. Tout homme qui violente une jeune fille est tué par les parens de la personne outragée. Si elle pardonne au séducteur et consent à l’épouser, le mariage se fait, mais il faut que les petits couteaux et les 60 francs habituels soient versés dans un bref délai aux mains des intéressés. L’adultère est rare ; s’il est constaté, l’épouse coupable est tenue de rendre au mari trompé l’argent que son père a reçu. Dans ce cas, l’époux n’a point le droit de retenir sa femme, même dans l’hypothèse qu’il refuserait de recevoir la dot.

Le même voyageur a pu voir composer sous ses yeux le poison dont les Igorrotes se servent pour rendre leurs armes mortelles. « Je ne vis, raconte M. Jagor, ni les feuilles, ni les fleurs, ni les fruits de l’arbre qui produit ce toxique, mais j’en ai touché l’écorce. Un morceau de cette dernière fut réduit en poussière, mouillé, pressé, jusqu’à ce qu’il en découlât une liqueur verdâtre que les sauvages placèrent sur le feu dans un pot de terre. Après un quart d’heure d’ébullition modérée, le poison prit l’apparence d’un sirop de couleur brune. De temps en temps les préparateurs jetaient dans le récipient un peu de râpure nouvelle. Lorsque le liquide eut l’apparence d’une gelée, on le versa sur une feuille de bananier saupoudrée de cendres. Pour rendre une arme mortelle, une pointe de lance par exemple, on fait chauffer un morceau de la pâte, gros comme une noix, et on l’étend en couche légère sur le fer. Le poison peut agir deux ou trois fois sans perdre sa propriété toxique. Tout cela se fait à main nue et sans que la peau en paraisse altérée. »


EDMOND PLAUCHUT.