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près de 500 malades de toute nature, répartis en vingt-six salles d’inégale grandeur, auxquelles on arrive par un véritable dédale d’escaliers et de corridors. De ces vingt-six salles, il n’y en a pas une seule dont l’installation ne soit défectueuse et qui ne contienne un plus grand nombre de lits que ne le permettent les règles de l’hygiène la plus élémentaire. Ces lits sont bas, étroits, serrés les uns contre les autres, séparés en deux rangées entre lesquelles subsiste à peine l’espace d’un étroit passage. Les salles sont insuffisamment éclairées par d’étroites fenêtres, et, lorsque le jour baisse, il y a des recoins tellement obscurs qu’on pourrait les croire inoccupés, si un gémissement ou une toux déchirante ne venait vous révéler l’existence d’un être humain. Ces salles servent aussi de lieu de réunion aux convalescens et aux infirmes qui ne sont point obligés de garder le lit. Ils se rassemblent près de la cheminée et causent plus ou moins bruyamment, sans égard aux souffrances de ceux qui les entourent. Lorsque j’ai visité l’infirmerie de Gray’s Inn, près d’un groupe ainsi réuni, un homme, un vieillard, se mourait. Assis sur son séant, il appuyait sa poitrine contre une table grossière qu’on avait approchée de son lit, et, la tête cachée entre ses mains, il tirait péniblement du fond de ses entrailles une respiration entrecoupée. Les convulsions de son râle n’interrompaient pas la conversation de ses compagnons de salle, qui, assis devant la cheminée, presque auprès de son lit, tournaient de temps en temps la tête pour jeter sur lui un regard de curiosité insouciante. Certes l’aspect de la mort, et surtout de la mort à l’hôpital, n’est jamais gai ; mais je n’ai rien vu de plus triste que le spectacle de cette agonie en public. Je ne pouvais m’empêcher de regretter pour ce malheureux les rideaux de notre lit d’hôpital, qui permettent au mourant d’assurer au moins la solitude de sa dernière heure, et ces emblèmes de la foi chrétienne adossés à la muraille vers lesquels il n’a qu’à tourner ses regards pour soulager par l’espérance les angoisses de sa pensée. Certes les petits autels que la dévotion de nos sœurs enjolive de statuettes et de fleurs en papier ne sont pas l’expression la plus élevée de la religion, et j’aimerais mieux qu’on mît tout simplement sous les yeux des malades l’image du Dieu crucifié ; mais rien n’est plus triste que ces murailles froides et nues des hôpitaux anglais, qui dans les infirmeries des workhouses suintent en quelque sorte la misère et n’entretiennent les nouveau-venus que des souffrances de ceux qui les ont précédés, sans y joindre une pensée de consolation et d’espérance.

J’ai parlé tout à l’heure de l’insuffisance du personnel à l’infirmerie de Chelsea. Que dire à ce point de vue de l’infirmerie de Gray’s Inn ? Pour ces 500 malades, il n’y a qu’un médecin ; encore ne réside-t-il pas dans l’infirmerie, où il ne vient faire qu’une visite