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classiques comme par les flots de la Méditerranée, et dépourvue dans la servitude de toute tradition politique, avait moins de raisons de s’isoler, de se distinguer par sa constitution. En tout cas, l’expérience d’une assemblée unique, et par là même omnipotente, ne semble point y avoir encore réussi, et, sans préjuger l’avenir, il est douteux que ce parlementarisme tronqué puisse survivre à un agrandissement territorial du royaume. Au milieu de ses embarras constitutionnels, la Grèce a aujourd’hui la bonne fortune de posséder, au lieu d’une famille demeurée étrangère sur le trône, une jeune dynastie qui, par ses nombreux rejetons, assure à la royauté des héritiers nationaux, et par ses alliances de famille avec plusieurs des principales maisons régnantes de l’Europe peut contribuer à conserver au nouvel état la bienveillance des grandes puissances.

Tous les maux politiques dont souffre la Grèce n’ont pas leur principe dans la constitution ; la plupart proviennent des mœurs plus encore que des lois. Les principaux vices signalés dans la société grecque se rencontrent tantôt à l’état aigu, tantôt à l’état chronique, chez d’autres peuples, dans d’autres démocraties parfois florissantes, aux États-Unis d’Amérique par exemple. Il en est ainsi d’abord du grand nombre et du peu d’honnêteté de la plupart des politicians, de la concussion et de la corruption administratives aussi pratiquées aux rives romantiques de l’Hudson que sur les bords desséchés du classique Ilissus. En Grèce, cette plaie s’est étendue jusqu’à la hiérarchie ecclésiastique, et l’on se rappelle le récent et scandaleux procès des trois évêques accusés de péculat et de simonie. Ce mal rongeur découle d’une autre plaie encore commune à la Grèce et à d’autres états des deux mondes, le fonctionnarisme. La Grèce possède une nombreuse et indigente bureaucratie, et, en dépit du nombre des emplois relativement à la petitesse du pays, les places à donner restent toujours hors de proportion avec la multitude des aspirans. De là une des causes de l’âpreté des luttes politiques et des continuelles crises ministérielles. Chaque citoyen veut avoir sa part du pouvoir ou du budget, chaque homme politique a ses créatures à faire vivre, et, chaque Grec se croyant apte à tous les emplois, les changemens de ministère sont si fréquens et les mutations du personnel administratif si répétées, qu’il semble que chacun doive passer à son tour aux affaires. De là ces luttes et ces coalitions de quatre ou cinq partis dont la ligne de démarcation est le plus souvent impossible à tracer. À ces causes de division et de luttes stériles s’en ajoutait, jusqu’à ces dernières années, une autre non moins fâcheuse, la rivalité des puissances protectrices, la Russie, l’Angleterre et la France ayant chacune leurs protégés ou leurs partisans, prétendant plus ou moins s’immiscer dans les affaires du royaume, et compliquant