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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/539

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ainsi la politique extérieure par la politique étrangère. Au milieu de toutes ces difficultés, à travers tous ces périls, les Grecs, sages ou sensés jusqu’en leurs erreurs, n’emploient plus depuis longtemps dans leurs conflits de partis d’autres armes que les armes modernes, la presse et la parole; s’ils ont souvent recours à l’intrigue et à la corruption, jamais ils n’en appellent à la force. Ce petit état, fondé chez un peuple de pirates et de brigands, est depuis longtemps étranger aux pronunciamientos militaires et aux guerres civiles. Quelle nation cependant semblait plus que la Grèce vouée aux luttes intestines et au brigandage politique, par ses mœurs populaires et ses traditions comme par sa conformation géographique? Chez un tel peuple, après de tels antécédens si récens encore, n’est-ce point là une marque singulière d’esprit pratique, et ne vaut-il pas mieux, pour l’avenir de la Grèce, que les ministres y soient renversés par des coalitions parlementaires et des manœuvres de couloir que par le fusil des klephtes?


II.

L’esprit, ou mieux le caractère grec, n’a pas fort bonne renommée en Occident. Cette mauvaise réputation remonte très loin, jusqu’à l’antiquité, jusqu’à ces Grœculi, si fort raillés et dédaignés de Cicéron, lui-même cependant, tout comme son ami Atticus, un admirateur et un disciple de l’Hellade. Les défauts déjà reprochés aux Grecs par les Romains, le manque de franchise et de dignité, l’esprit d’intrigue, les jalousies locales, la flatterie, la servilité, n’ont pu être corrigés par la servitude musulmane et le despotisme byzantin. Si le Grec a gardé beaucoup des défauts prêtés à ses aïeux, il en a aussi hérité les qualités : la vivacité, l’intelligence, la malléabilité. C’est une chose singulière, que le Grec moderne, si croisé d’Albanais, de Slave et de Valaque, que le Rouméliote, d’un sang si mêlé qu’on lui a souvent disputé toute filiation hellénique, rappelle d’une manière si frappante les aïeux dont il revendique le nom. Les Slaves ont eu beau laisser à travers toute la Morée des traces visibles de leur passage, le berger valaque a beau promener ses troupeaux sur les plateaux dénudés de la péninsule, les Albanais ont eu beau occuper sous nos yeux l’Attique et l’Argolide et donner aux modernes Grecs leur costume national, la blanche fustanelle, les Hellènes, qu’on eût dits presque disparus de l’Hellade, l’ont reconquise et recolonisée, et après ce singulier travail encore inachevé, les Grecs nouveaux, les Grecs de langue ou de sang, se sont trouvés étonnamment semblables à leurs ancêtres[1].

  1. Dans la Grèce propre même, un grand nombre de noms, à commencer par celui de Morée (More, mer), paraissent d’origine slave, et les noms grecs modernes, souvent sans rapport avec les noms antiques, témoignent d’une nouvelle colonisation de la race ou de la langue hellénique.