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le but national sans paraître beaucoup s’en rapprocher; c’est évidemment qu’ils ont fait fausse route. Le modèle qui tente justement l’ambition de tous les peuples tronqués et de tous les embryons d’état de l’Europe orientale, le Piémont, a préparé sa haute fortune par la paix plutôt que par les armes; il a gagné sa cause par une sorte de séduction pacifique autant que par les artifices de la diplomatie. Vaincu à Novare, le Piémont voulut devenir l’état modèle de la péninsule qu’il aspirait à diriger, et, par sa sagesse politique et ses progrès de tout genre, il se concilia les sympathies de l’Europe avec l’admiration des Italiens. Dans un petit état comme la Grèce, la force matérielle sera toujours inférieure à la force morale. C’est cette dernière qui, en valant à l’hellénisme l’appui de l’Europe, l’eût mis le mieux à même de profiter des chances favorables que lui devaient offrir les complications de l’Orient.


III.

La politique grecque vis-à-vis de la Turquie est beaucoup plus complexe qu’elle ne le semble au premier abord. Les Serbes, les Roumains, les Bulgares même, ont dans les affaires orientales une politique simple, nettement indiquée par leur position géographique et leur histoire. Il n’en est pas de même des Grecs : pour eux, il y a incertitude non-seulement sur les moyens, mais sur le but où doit tendre leur patriotisme national. Le terme de leurs aspirations peut varier selon que l’on envisage les intérêts particuliers du royaume de Grèce ou les intérêts généraux de l’hellénisme. De là viennent les hésitations ou les contradictions apparentes de la politique grecque. Son rêve est l’affranchissement et la réunion de tous les Hellènes : à ce point de vue, les aspirations des patriotes grecs ressemblent beaucoup à celles des libéraux italiens vers 1860; mais il y a une différence capitale. L’Italie avait dans la mer et les Alpes une enceinte naturelle et comme un moule géographique ; la Grèce n’en a point, ou, si elle semble en avoir un dans la petite presqu’île du Pinde ou dans la grande péninsule du Balkan, les Grecs sont loin de remplir ce cadre naturel et en même temps loin d’y être contenus. Là est la difficulté qui, en théorie même, sans tenir compte de la domination turque et des réalités politiques, rend toute solution nationale malaisée. Le peuple grec déborde en dehors de son cadre géographique et ne le remplit point.

Les 1,500,000 habitans du royaume de Grèce ne forment pas la moitié et peut-être point les deux cinquièmes des hommes qui revendiquent le nom de Grecs. Deux ou trois millions d’Hellènes sont demeurés sous la domination ottomane; mais, au lieu d’être agglomérés sur un espace circonscrit, ils sont dispersés sur de vastes