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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/549

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surfaces, des deux côtés de la mer de Marmara et des deux côtés de la mer Egée. La Porte a presque autant de sujets grecs en Asie qu’en Europe, et dans les deux continens la population hellénique n’occupe, en dehors des îles, que les côtes de la mer avec quelques enclaves, ou quelques colonies sporadiques dispersées dans l’intérieur des terres. Cette répartition géographique de la nationalité grecque est le résultat de toute son histoire. Aujourd’hui comme à l’origine du monde hellénique, c’est la mer qui est le vrai centre national des Hellènes; l’élément liquide, qui ailleurs limite et sépare les nationalités, en est ici le lien, et c’est au contraire la terre qui sert de limite. Platon, dans un de ses dialogues, représente les hommes habitant au bord de la mer ainsi que des grenouilles au bord d’un marais; cette image convient encore très bien aux Grecs, vrais fils de l’onde marine, peuple en quelque sorte amphibie, entourant les terres d’une espèce de bordure ou de frange, et, comme il y a vingt-cinq siècles, laissant l’intérieur des continens aux barbares.

Les contrées touchant immédiatement au royaume de Grèce, la Thessalie et l’Épire, sont les seules habitées d’une mer à l’autre par une population en majorité hellénique ou hellénisée. La presqu’île comprise entre le golfe de Salonique et le détroit d’Otrante est toute grecque par la langue et les traditions, comme par les aspirations. C’est là pour les Hellènes, en dépit de nombreuses enclaves turques, zinzares ou albanaises, un domaine incontesté, que la diplomatie a eu le tort de ne pas leur attribuer tout entier dès le premier jour, et qui tôt ou tard leur reviendra. La Thessalie et l’Épire, voilà avec la Crète l’objectif naturel de la politique grecque; ce n’est point celui de la plupart des Hellènes. Leurs aspirations, encouragées par leurs souvenirs, dépassent largement l’étroite enceinte de la petite presqu’île dont le Pinde est l’arête centrale. Appuyés sur la double tradition de l’antiquité classique et de l’empire byzantin, les Grecs considèrent comme hellénique, et réclament comme l’héritage naturel de leurs ancêtres, toute la grande péninsule sise au sud du Balkan. A leurs yeux, la Macédoine et la Thrace, toutes deux encore aujourd’hui entourées sur leurs côtes d’une ceinture de population grecque, sont des terres foncièrement grecques; à leurs yeux, la frontière naturelle, comme la frontière historique du monde hellénique, c’est l’ancien Hœmus, le Balkan.

L’on voit immédiatement où tendent de telles vues; elles ne vont à rien moins qu’à la reconstitution d’un empire grec sur les ruines et presque sur les fondations de l’empire ottoman. Pour relever l’empire byzantin, il ne serait même peut-être pas nécessaire de renverser violemment la domination turque ; il pourrait suffire d’adjoindre et de substituer peu à peu dans le gouvernement l’élément grec et chrétien à l’élément turc et mahométan. C’est ce rêve