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principal rempart de l’hellénisme en Macédoine. Entre ses deux grands centres historiques de Byzance et de l’Hellade, la race grecque s’est pour ainsi dire étirée et effilée sous la pression des barbares du nord comme sous un laminoir. La Grèce propre et Constantinople, l’antique berceau et l’ancienne capitale de l’hellénisme, sont presque coupés l’un de l’autre, et même en l’absence des Turcs on ne voit guère comment on pourrait les réunir en un seul état.

Les Hellènes, dédaigneux des Slaves qu’ils entourent, se sont longtemps flattés de les dominer, de les helléniser. C’est là, croyons-nous, un espoir chimérique, démenti par l’histoire de dix siècles. En dépit de la supériorité de leurs armes dans cette pacifique guerre de nationalité, en dépit de leur culture et de leur richesse, de leurs nombreuses écoles et de leurs syllogos, tous les efforts des Grecs n’aboutissent des deux côtés du Rhodope, en Macédoine comme en Thrace, qu’à maintenir les positions de l’hellénisme sans en conquérir de nouvelles. En de pareilles luttes, l’intelligence et l’instruction ne suffisent point toujours à assurer la victoire. Au milieu de tous leurs avantages, les Grecs semblent avoir vis-à-vis de leurs rivaux bulgares une double et grave infériorité : une moins grande fécondité, un moins grand amour de l’agriculture. De ces deux causes de faiblesse, la première pourrait encore être contestée, la seconde ne saurait l’être. Au travail régulier de la terre, le Grec préfère partout des occupations intermittentes ou moins sédentaires, comme la vie maritime et le négoce. Quelques-uns lui refusent même le goût de tout travail régulier et constant; un des hommes qui connaissent le mieux la Grèce moderne et la Grèce antique a été jusqu’à dire que le travail forcé de l’esclavage pouvait seul expliquer la richesse des républiques grecques de l’antiquité[1]. C’est là une opinion qu’il ne faut sans doute pas prendre à la lettre. Ce qui est certain, c’est que par ses goûts et son caractère le Grec se prête de lui-même à se laisser refouler sur les côtes ou enfermer dans les villes.

La lutte de l’hellénisme et du slavisme au pied du Balkan et autour du Rhodope est loin d’être nouvelle. Les écrivains d’Athènes ou du Phanar représentent souvent l’invasion de la Macédoine et de la Thrace par les Bulgares comme une récente immigration dirigée par des agens russes. La colonisation de ces provinces encore mal peuplées par une race féconde et laborieuse peut se poursuivre tous les jours, elle ne saurait pour cela dater d’hier. Les anciennes invasions slaves qui remontent à douze ou quatorze siècles ne se

  1. M. Albert Dumont, le Balkan et l’Adriatique. — Revue du 1er décembre 1872. Cet ouvrage abonde en renseignemens sur la situation de l’hellénisme en Turquie.