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distinctes et indépendantes l’une de l’autre. La grande lutte, jadis poursuivie par les armes au temps des rois bulgares et des empereurs de la dynastie macédonienne, est ainsi aujourd’hui continuée à l’aide des foudres ecclésiastiques. Dans cet Orient, où l’on regarde trop souvent toutes les querelles comme religieuses, c’est l’antipathie nationale qui a rompu l’unité de la plus grande église de Turquie. La communauté de la foi a disparu devant les jalousies de race. Grâce à ce schisme, l’hellénisme et le slavisme restent en face l’un de l’autre, avec leurs prétentions réciproques ; la création de l’exarchat n’en demeure pas moins pour les Slaves un premier et considérable succès.

Cette grave question des limites des Bulgares et des Grecs, la conférence de Constantinople l’a dans ses propositions relevée sous la forme administrative. Cette fois les Turcs, revenus de leurs sympathies pour les Bulgares, ont vis-à-vis de l’Europe étayé leurs résistances sur les répugnances des Grecs. Par un juste retour, l’appui que les organes bulgares ont prêté au gouvernement ottoman contre les Grecs pendant l’insurrection de Crète, les feuilles grecques de Constantinople et de l’étranger l’ont plus ou moins prêté à la Porte contre les Slaves pendant la conférence. Les deux nationalités rivales, entraînées par leurs ambitieuses visées d’avenir, semblent ainsi s’être donné pour mission de se maintenir réciproquement dans la servitude. Diviser pour régner est une maxime dont la pratique est d’autant plus aisée au maître musulman, que les sujets chrétiens se chargent de l’appliquer pour lui. Les Grecs et les Slaves, qui se sont si souvent révoltés contre les Turcs, ont soin d’ordinaire de ne pas le faire en même temps; ils attendent pour se soulever que la Porte en ait fini avec leurs rivaux. C’est là une des principales causes de l’échec de toutes les insurrections chrétiennes et aussi des fréquens insuccès de la diplomatie européenne, placée, chaque fois qu’elle a voulu intervenir dans les affaires de la Turquie, en face des prétentions rivales des diverses nationalités.

Quand on voit l’importance que gardent chez tous les peuples les souvenirs nationaux, et qu’en même temps l’on se rend compte de la bizarre répartition géographique des Grecs, on comprend combien il est malaisé, pour le cabinet d’Athènes, d’avoir une politique toujours nette et une conduite toujours conséquente. Il peut y avoir deux manières fort différentes d’envisager les intérêts grecs et les destinées de l’hellénisme, selon le point d’où on les regarde, selon qu’on les contemple du haut de l’Acropole d’Athènes, ou du faîte de la coupole de Sainte-Sophie. L’horizon du Grec byzantin est singulièrement plus vaste, il embrasse à la fois l’Europe et l’Asie,