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mais aussi est-il singulièrement plus vague, plus nébuleux; l’horizon politique du Grec du royaume est plus borné, il peut sembler étroit, mais aussi est-il clair et limpide, l’œil y distingue nettement tout ce qu’il perçoit. La grande idée, la chimère byzantine d’un nouvel empire d’Orient, est naturellement plus chère aux Grecs du Bosphore; les Hellènes du royaume la leur devraient entièrement abandonner. L’objectif naturel de leur politique est près d’eux, dans les îles qui sont comme un prolongement de la petite péninsule hellénique, et surtout dans les provinces grecques du Pinde et de l’Olympe, qui en sont la base et le point d’appui. Pour les peuples comme pour les individus, le meilleur moyen de ne pas manquer sa fortune est de savoir la borner.

L’hellénisme plane sur un tel espace, le nombre des Hellènes est si réduit, leur territoire si mal délimité, qu’il semble impossible de rien trouver ailleurs d’analogue ou de comparable. Il y a cependant un pays, bien différent à tous égards de la Grèce, qui sous certains rapports peut en être rapproché et lui donner une leçon : c’est l’Allemagne. La ressemblance entre l’énorme et massive nation allemande et la petite et diffuse nation grecque, c’est la difficulté de rassembler entièrement l’une ou l’autre dans un même état. Pendant longtemps, on le sait, nos voisins d’outre-Rhin ont vainement rêvé d’unité; les plus pratiques étaient seuls à consentir à une Allemagne restreinte en dehors de l’Autriche, les autres regardaient cette séparation comme une sorte de démembrement de la patrie commune, et ne voulaient admettre qu’une grande Allemagne embrassant simultanément toutes les terres de l’ancienne confédération germanique. Or, entre la grande idée des Grecs et la grande Allemagne de certains publicistes du Mein et du Danube, il y a une véritable ressemblance, une manifeste parenté. De ces deux ambitieuses conceptions, la grande idée byzantine est encore la moins pratique, parce que les Hellènes sont, relativement à leur nombre, répandus sur une bien plus grande surface, et qu’ils n’auront jamais la force d’imposer leur domination aux peuples parmi lesquels ils sont dispersés. Les Grecs, plus encore que les Allemands, constituent non-seulement une nationalité, mais une race dont les divers membres, reliés par la communauté d’origine et de langue, sauraient difficilement être ramassés en un seul état politique. A cet égard, la position des Grecs n’est pas sans analogie avec celle des Arméniens, leurs rivaux; mais les Hellènes ont sur les Arméniens l’immense avantage de posséder dans l’Hellade un territoire isolé par les mers, et nettement circonscrit, une sorte de citadelle naturelle qui, dans leur dispersion même, leur assure un centre national et une existence politique indépendante.