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Aux yeux d’un philhellène, plus ami du possible que des vagues chimères, l’avenir le plus favorable que l’on ose espérer pour l’hellénisme, c’est une Grèce restreinte à la presqu’île du Pinde et aux îles, et en dehors, sur les deux rives de la mer de Marmara et de l’autre côté de l’archipel, un état plus vaste où, parmi des races et des religions diverses, les Grecs tiendraient, grâce à leur génie et à leurs traditions, une place prépondérante. Il n’y aurait là rien d’incompatible avec le maintien de l’empire ottoman. Pour être bornées, de telles perspectives ne laissent pas d’être glorieuses encore. Si le territoire que les Grecs peuvent aspirer à posséder en propre est limité, l’esprit grec gardera toujours un champ beaucoup plus vaste. Leur dispersion sur deux ou trois continens ne nuit à la grandeur et à la force politique des Hellènes qu’en servant à leur influence morale. Grâce à elle, la langue d’Athènes s’étendra bien au loin des limites du royaume, et l’hellénisme demeurera plus grand et plus puissant que la Grèce.

Comme il y a pour eux deux manières d’envisager leur avenir national et deux politiques possibles, il y a pour les Grecs deux moyens différens d’atteindre au but, deux routes opposées. L’une est la guerre, et l’autre une alliance avec les Turcs. Les Grecs peuvent se joindre aux ennemis actuels ou futurs de la Porte pour arracher, eux aussi, un lambeau du territoire ottoman, et avoir leur part des dépouilles du croissant. Ils peuvent au contraire faire cause commune avec les Turcs contre les Bulgares ou les Russes, et se faire payer leur appui d’une rectification de frontière et de quelques concessions en faveur des sujets grecs du sultan. L’une et l’autre voie peuvent les mener au même terme ; mais l’une les expose à plus de périls, l’autre peut les conduire à un leurre. La plupart des Grecs préféreraient naturellement la route la moins dangereuse; c’est au moins celle qu’ils auraient voulu tenter la première, sauf, en cas d’échec, à se rejeter du côté opposé. Le cabinet d’Athènes a déjà envoyé à la Porte un memorandum auquel les difficultés du gouvernement turc pourraient seules donner quelques chances de succès. Le jour où une rupture de la Turquie et de la Russie poserait sérieusement pour eux la redoutable alternative, les Grecs seraient en tout cas fort embarrassés. Sans flotte, sans argent, presque sans armée, ils n’ont point ce qui peut rendre leur inimitié redoutable ou faire acheter leur appui. Ils seraient même peut-être plus impuissans encore comme alliés que comme ennemis. Il leur serait difficile d’offrir à la Porte un secours effectif assez considérable pour en obtenir une concession quelque peu importante; si faibles qu’ils soient, ils pourraient toujours au contraire, sans même entrer directement en lutte avec la Turquie, fomenter des mouvemens insurrectionnels en