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Florent. Comment donc admettre, après tant de témoignages, que la misère des temps puisse rendre suffisamment compte du peu de développement du faste funéraire ?

Il faut, je crois, en chercher d’autres raisons. Le caractère éminemment religieux du luxe dans cette période, c’est-à-dire jusqu’au Xie siècle, explique lui-même que les scrupules d’humilité et le sentiment public aient pu se montrer peu favorables à ce déploiement du faste, d’autant plus ménager à l’égard des hommes qu’il était plus prodigue envers Dieu. On donnait sans mesure le marbre et l’or aux sépulcres des saints, on gardait pour soi la simple pierre et la nudité, plus convenables à des pécheurs. L’orgueil paraissait d’ailleurs peu séant à l’idée solennelle qu’on se faisait de la mort. Pouvait-on, lorsqu’on croyait la trompette du jugement dernier prête à résonner, songer à s’établir dans une somptueuse demeure funéraire ? Chez ceux que ces raisons touchaient moins, d’autres circonstances faisaient obstacle. C’est un fait que, jusqu’au XIIe siècle, l’inhumation dans les églises fut sans cesse combattue par l’autorité ecclésiastique, comme on le voit par une interdiction du concile de Nantes, en 660. Bien que l’abus n’ait jamais cessé complètement, cette poursuite incessante laissait peu de sécurité à ces sépultures. On obtenait à grand’peine d’être inhumé sous les porches des églises. L’enceinte bénie qui les entourait était elle-même assez limitée. Le désir d’être enterré dans le sanctuaire, pour participer de plus près, croyait-on, aux mystères sacrés, parvenait pourtant assez souvent à franchir l’enceinte. On devait alors ménager l’espace à ces morts privilégiés, sinon l’architecture funéraire eût bientôt tout envahi. Il fallut donc que la pierre restât humble et modeste, même quand les morts ne l’étaient pas : les tombeaux des grands durent se faire petits ; ils se réduisirent à une simple dalle, tout au plus à une tombe plate dépassant à peine le sol. Enfin l’église elle-même renfermait dans son propre sein un courant d’idées et de sentimens contraires au luxe décoratif dans les lieux consacrés au culte. Quelques-uns, dans leur haine contre toute peinture, toute sculpture, toute argenterie, prêchaient la nudité avec un zèle qui semble faire d’eux les précurseurs des protestans iconoclastes du XVIe siècle. Cette thèse excessive fut condamnée par un concile de Francfort dans la personne d’Agobart au temps de Charlemagne ; mais cette sévérité, sans sortir des limites de l’orthodoxie, ne cessa de trouver des adhérons illustres. Tel fut le rigide abbé de Clairvaux, saint Bernard, au XIIe siècle. Il ne fit que se rendre l’écho d’une plainte déjà vieille au sein du catholicisme, lorsqu’il condamnait, avec une grande dureté de termes, ces décorations qu’il jugeait excessives. Il jetait un ironique anathème sur une célèbre abbaye trop richement ornée par les arts : « Tu es