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corail, crysolithe, diamant, améthyste, et toute la tombe était niellée d’or arabe, avec lettres disant :

Ci gist la belle Blancheflor,
Que Floire aima par amoar[1]. »

Certes il y a peu de tombes comme cette sépulture parée, luxueuse avec coquetterie, qui semble presque sourire, avec ses jolies pierres précieuses et ses images d’une volupté ingénue ; mais la fiction même, dans son exagération naïve, donne tort à ceux qui croient que le moyen âge n’a su prêter à la mort que des traits tristes et affreux ; la vérité est qu’il l’a fait rarement sur les tombeaux, et que c’est l’aspect doux et consolant qui de beaucoup y domine.

Ah ! le christianisme a mêlé sous d’autres formes assez de terreurs à la mort. Lui aussi il a paru, comme la religion de l’antique Égypte, croire le mort vivant sous son linceul, et il y porte les épouvantes d’une autre vie. Dans ces offices d’un pathétique effrayant, le mort parle dans sa bière : il parle de ses péchés, delicta juventutis. Il ne crie pas, comme dans le Rituel funéraire égyptien : Je suis pur, je suis pur ! Non, non, il s’afflige, il s’humilie, il gémit sur ses jours passés, sur ses espérances évanouies, il fait appel au sépulcre qu’il nomme « mon père. » De même c’est à lui que s’adressent personnellement et le prêtre et le chœur qui répond, pour lui parler d’immortalité et de résurrection. Au lever du corps, ce mort sensible jette à Dieu une supplication suprême : Je crie vers vous du fond de l’abîme ! Quel drame que celui-là qui se joue comme sur la frontière de deux mondes, au milieu de l’appareil funèbre des obsèques ! L’espérance et l’effroi ont chacun leur tour, de même que semblent lutter la noire horreur des tentures funéraires et l’éclat brillant des flambeaux ; mais l’impression qui domine consterne l’âme. Quelle pensée plus douce ne serait comme écrasée par le terrifiant Dies iræ ?

Les cimetières publics restent relégués presque tous, sous le rapport des ornemens, à un rang tout à fait secondaire dans cette période qui s’étend du IVe au XIIe siècle. Les traces de luxe funéraire qu’on pourrait relever çà et là dans les cimetières mérovingiens n’ont pas assez d’importance pour qu’on s’y arrête. On trouverait à peine dans le midi quelques exceptions. Tels sont, à Arles, ces Champs-Elysées, asile du luxe funéraire jusqu’en plein XVIe siècle et même au-delà. On peut à peine juger par quelques débris de ce qu’était la noble structure des monumens que présentait en abondance ce champ funèbre dont l’aristocratie méridionale avait fait au loin sa sépulture de prédilection : vrai musée de tombeaux chrétiens qui succédait à un autre musée de tombes païennes, et que les générations

  1. p. Paris ; Romancero français.