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entretenaient avec une émulation de richesse et de goût. Je cherche d’autres monumens originaux de ce faste funéraire de la première moitié du moyen âge. Il en est un que l’on ne peut laisser passer à la limite extrême de cette période. Arrêtons-nous un instant devant le célèbre Campo-Santo de Pise, type plus d’une fois imité, véritablement à part, qui n’est ni une vaste église servant comme accidentellement de sépulture, ni un cimetière en pleine campagne ; sorte de cloître sépulcral, fermé à l’intérieur, et qui présente au dedans une série de galeries ouvertes. L’austère et pieux génie du XIIIe siècle est empreint dans cette nécropole élevée de 1218 à 1283. Une simplicité grave et majestueuse, une ornementation sévère qui élève le luxe jusqu’à l’art, ont fait du Campo-Santo un des lieux funéraires qui, depuis l’antique Égypte, ont produit sur l’imagination des hommes l’impression la plus forte et la plus conforme à l’idée mystérieuse et solennelle de la mort. La foule des morts n’a pas à se plaindre d’être écrasée par l’orgueil solitaire de quelques tombes. La légitime fierté des grandes races, le souvenir des grands noms et des grands services respirent dans une quantité de monumens, de bustes, d’inscriptions, de statues. Voilà bien le tombeau qu’une ville libre devait offrir à ses citoyens illustres. L’âme de la vieille cité républicaine de Pise semble encore remplir ce lieu funèbre. Quelques cyprès qu’agite la brise, l’herbe qui croît dans la cour, çà et là des fleurs grimpantes qui enlacent les colonnes, mêlent comme un parfum de nature à ce monde de la pierre, grave et noble, mais qui ne saurait éviter un peu de sécheresse. Les siècles qui ont suivi le XIIIe ont enrichi le Campo-Santo d’éclatantes peintures décoratives. Sont-elles en complète harmonie avec le goût élevé et pur de cette nécropole? Parmi ces peintures figure au premier rang l’œuvre d’Orcagna. C’est d’abord le fameux Triomphe de la mort. On a souvent salué cet ouvrage du nom de chef-d’œuvre. Cette composition n’en présente pas moins une exception regrettable à la manière calme et reposée dont le moyen âge avait presque toujours jusque-là représenté la mort dans les lieux funèbres. Ah! l’on sent que le XIIIe siècle s’éloigne, et avec lui la noble et pure inspiration d’un pieux mysticisme. En vain l’artiste a-t-il fait jaillir une grande leçon morale d’une antithèse pleine d’énergie. En vain est-ce à de brillans cavaliers, à de belles châtelaines richement parées, à tout un monde joyeux qui déploie un appareil de fête, qu’apparaissent au fond d’une tombe ouverte trois hideux cadavres, l’un gonflé, l’autre rempli de vers, le dernier presqu’à l’état de squelette. Le degré d’horreur physique que l’art comporte, du moins l’art religieux, est évidemment dépassé. Si digne d’éloges que puisse être cette page de la peinture italienne à ses débuts, ni le véritable esprit religieux ni le beau, pour peu