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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/574

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qu’il ait souci d’un certain idéal, ne sauraient avouer cette œuvre d’une inspiration fortement, mais grossièrement matérielle. Ne faut- il pas apprécier de même l’autre grande composition qui semble faire pendant à celle-là, le Jugement dernier du même peintre? Ce sont, rendues avec une égale énergie, les mêmes figures atroces, les mêmes contorsions hideuses de diables et de damnés. Que dire enfin d’œuvres, remarquables aussi, quoique à un degré inférieur, d’autres artistes qui trouvent moyen d’enlaidir encore ces démons et de rendre ces réprouvés plus affreux? Non, ce n’est pas cette peinture qui convenait au Campo-Santo! Un génie tout différent, eût-il été moins coloriste, un artiste moins théâtral et plus pénétré du sentiment chrétien, aurait été ici mieux à sa place, et ce qu’il aurait fallu pour ce lieu grand et sévère, c’eût été un Eustache Lesueur bien plutôt qu’un André Orcagna.


II.

Le XIVe siècle mit au service du faste funéraire tous ses élémens de richesse et d’industrie, et ses arts de plus en plus sécularisés. Il agrandit les proportions des tombeaux, il en accrut les décorations et les splendeurs. C’est un mélange frappant, curieux, d’inspiration encore chrétienne et de pensées plus profanes, qui recevront des siècles suivans leurs derniers développemens. La magnificence ne fait pas tort ici à la vraie grandeur. L’usage du marbre est de plus en plus fréquent. On obtient des combinaisons de couleur d’un effet puissant par le mélange du marbre noir et du marbre blanc. Le tombeau se peuple et s’anime à ce qu’il semble. Les figures, les groupes s’y multiplient; des scènes entières y sont représentées. La famille du défunt, ses pompeuses obsèques, les processions des confréries et des pleureuses prennent place sur ces vastes monumens. Souvent un dais est dressé sur le lit funéraire, surélevé et superbe : deux anges, ailes déployées, tiennent un voile étendu sur lequel une petite figure représente l’âme du défunt, qu’ils sont censés porter au ciel ; d’autres fois ce sont des anges thuriféraire qui soutiennent le coussin sur lequel repose la tête du mort. Rien ne manque, ni les apparitions des saints patrons, ni les légendes pieuses, ni les scènes empruntées à l’ancien et au Nouveau-Testament; mais, nous y insistons, si la part du ciel dans ces représentations reste grande, et paraît, par la multiplicité des figures, s’être même agrandie, celle qui est faite à l’homme s’est accrue plus encore; il prend, avec les tombeaux du XIVe siècle, un relief saisissant.

L’embarras serait ici dans le choix entre beaucoup d’exemples. On est frappé de la composition savante, de l’imposante étendue, du nombre des statues qui figurent sur presque tous les tombeaux