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Elle réservait encore à la navigation française le transport des marchandises entre les colonies et la métropole. Cette législation fit la prospérité des établissemens d’outre-mer et la fortune des colons. Notre industrie et notre commerce en profitèrent largement; notre marine commerciale se développa et acquit une grande force sous ce régime de restriction, qui d’ailleurs était commun alors à tous les peuples colonisateurs : les Anglais, les Hollandais, les Espagnols. Sous cette tutelle, les colonies étaient prospères quand les idées économiques professées par Adam Smith firent une révolution dans le monde. Comme les innovations ont toujours de la peine à détrôner les traditions, il devait se passer du temps avant l’application de ces nouveautés. Des années et des événemens se succédèrent. La guerre remplit les premières années du XIXe siècle. Les îles françaises tombèrent au pouvoir de l’Angleterre. Le sucre indigène naquit en France et obtint de très grands encouragemens. Il était devenu nécessaire : faible d’abord, cette industrie acquit en moins de trente ans des développemens considérables, dus à la cherté des sucres coloniaux. Cette concurrence altérait évidemment les anciennes conditions du « pacte colonial. » Il y fut porté une atteinte plus profonde encore par l’abolition de l’esclavage.

C’est vers ce temps que l’Angleterre commença l’application des idées du célèbre économiste d’Ecosse et les fit passer dans ses lois. Nous n’avons pas à rappeler les progrès du libre échange : le nouveau principe s’étendit bientôt aux produits de la culture et de l’industrie coloniales. L’Angleterre prit également l’initiative de cette réforme; la France l’imita à son heure. A vrai dire, il n’était plus possible de maintenir l’ancien régime colonial. Les bases en avaient été renversées, et l’édifice tombait en ruine. Le sucre indigène devenait plus exigeant de jour en jour; les colonies pouvaient prévoir le moment où, privées de toute protection contre cet adversaire puissant, elles se verraient expulsées du marché de France. En de telles conditions comment maintenir l’obligation qui leur était imposée de se restreindre à ce marché? L’injustice eût été trop criante. S’il se fût agi seulement d’une question de philosophie humanitaire, comme l’abolition de l’esclavage, la France aurait pu se considérer comme dégagée par le paiement de l’indemnité, quoique peut-être insuffisante, qu’avaient reçue les anciens propriétaires. On est assez porté, dans l’adoption des mesures révolutionnaires, à faire bon marché des moyens en considération du but. Mais la question du sucre indigène ne s’élevait pas au-dessus d’un intérêt terre à terre, d’une utilité pratique, d’un avantage positif; elle ne pouvait servir de texte à ces dissertations philosophiques qui souvent auraient plus de crédit, si elles ne servaient