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à la terre qu’elle posséderait et cultiverait, disposée à l’améliorer, à la défendre, dévouée à la patrie commune en reconnaissance de la liberté qu’elle en a reçue. Ce serait le plus puissant moyen de moraliser cette population, de régulariser ses mœurs, de lui donner le goût de la famille et d’en faire un jour une race bien ordonnée, vivant dans une atmosphère de principes honnêtes, forte au moral, comme elle est robuste au physique. Si des efforts sérieux étaient faits avec suite dans ce dessein par l’administration coloniale, si les habitans du pays la secondaient sans arrière-pensée, sans dédain et sans rancune dans cette intention éminemment conservatrice et patriotique, peut-être, avec une population qui s’accroît vite, obtiendrait-on des résultats prompts et heureux; mais c’est une œuvre à laquelle il faudrait travailler avec sincérité, et qui exigerait le concours de toutes les forces.

Les statistiques ne signalent pas une augmentation considérable du nombre d’hectares de terre consacrée à la culture des denrées alimentaires, depuis l’abolition de l’esclavage. Probablement on n’y tient compte que des terres réservées par les planteurs pour cette culture, et les jardins que les anciens esclaves ont pu planter en dehors n’y sont peut-être point compris. En 1835, avant l’émancipation, il y avait 13,000 hectares de terre produisant des vivres à la Martinique; 7,000 ou 8,000 esclaves étaient employés à ce genre de travail dont les résultats ne suffisaient pas à la consommation locale, car dans le cours de cette même année l’île avait reçu de l’extérieur 6 millions de kilogrammes de farineux alimentaires. Dix ans après l’abolition de l’esclavage, un recensement plus exact réduisait à 11,000 hectares la quantité de terres utilisées pour cette culture, mais, en revanche, il y constatait l’emploi de 12,700 noirs. En 1870, la quantité d’hectares livrés à la même espèce de production était de 12,700, et le nombre de cultivateurs attachés à ce genre de culture s’élevait à 15,800 individus. Ce progrès n’est pas en rapport avec l’augmentation de la population pendant la même période, et cela prouve que la colonie n’est point entrée dans la voie que nous venons d’indiquer, et qui mènerait à la constitution d’une forte population rurale composée de paysans propriétaires. Cette œuvre n’a été jusqu’à présent commencée par personne. Les habitans sont moins des agriculteurs que des manufacturiers. En dehors de la production du sucre, ils n’aperçoivent aucun avenir. La constitution aristocratique de l’ancienne propriété leur semble toujours le dernier mot de la prospérité coloniale; hors de là ils ne voient que ruine, décadence et misère. Certes la culture de la canne est une industrie fructueuse. Les habitans en veulent faire durer et, s’il est possible, en augmenter la production : rien de mieux; mais s’ils