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sont intéressés à maintenir la grande propriété, ils ne le sont pas moins à la formation de la petite, et c’est à eux, qui composent les conseils-généraux et qui concentrent l’autorité coloniale entre leurs mains, qu’il appartient de prendre en vue de ce résultat les meilleures mesures. Le désirent-ils, croient-ils possible de l’atteindre? Cela est douteux, car ils se jugent intéressés à obliger par tous les moyens les anciens cultivateurs africains à donner leur temps et leurs bras aux travaux des grandes habitations. La constitution de la petite propriété pourrait contribuer à les en éloigner; aussi ne fait-on rien pour en donner le goût. En général on suppose qu’il est inutile de chercher à faire de la population africaine une race intelligente et industrieuse. Ce serait peine perdue, dit-on ; mais alors il ne resterait qu’une perspective : celle de voir cette population retomber graduellement dans un état voisin de la barbarie africaine, et dans ce cas ce n’est pas seulement la riche industrie de la fabrication du sucre qui serait compromise, mais la société coloniale elle-même. Les îles d’Amérique seraient menacées du sort de Saint-Domingue. Il faut savoir se prémunir d’avance contre ce danger, et l’on ne peut y parvenir qu’en élevant le niveau moral de la population affranchie, non pas tant en lui apprenant à lire qu’en lui donnant le goût du travail agricole, l’amour du sol, qui nourrit, assure l’indépendance personnelle, et que nos paysans ont, à juste titre, la passion d’acquérir. C’est cet amour du sol qui fait la force des états, qui a donné tant de grandeur à certaines colonies, à celle qui fut la plus grande de toutes et qui marche aujourd’hui de pair avec les premières puissances de l’Europe : l’Union américaine. Il en est d’autres encore qui prospèrent dans les mêmes conditions, telles que le Canada et l’Australie. Ces pays d’outre-mer sont, il est vrai, cultivés par des émigrans de race blanche. Naturellement laborieux, ils ont peuplé ces terres nouvelles d’une multitude de petits propriétaires, et maintenant ils forment des agglomérations inattaquables, résolues à défendre pied à pied, et même sans aucun secours extérieur, la terre qu’elles se sont légitimement appropriée et en quelque sorte assimilée. Il faut voir si l’on peut, par des concessions et des facilités, obtenir de la population africaine des colonies quelque chose d’analogue. Les colonies qui ont maintenu pendant de longues années la race noire dans l’ignorance et l’asservissement lui doivent en compensation l’aide et le patronage de la race civilisée pour lui ménager dans l’avenir une condition supérieure.

Jusqu’à présent, qu’ont-elles fait? Uniquement préoccupées du salut de l’industrie sucrière, elles se sont imposé dans ce dessein de très grands sacrifices. Elles ont cherché à remplacer le travail forcé par une autre espèce de travail obligatoire : celui de nombreux immigrans