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et de la Réunion : suppression de la traite des nègres, abolition de l’esclavage, immigration d’Africains, puis d’Indiens et de Chinois, émancipation commerciale, toutes ces mesures ont été inaugurées par les Anglais avant d’être adoptées par nous. On peut dire qu’elles ont eu les mêmes conséquences dans les colonies des deux nations. Mêmes inquiétudes, suivies d’une crise industrielle, d’une diminution de la production, de ruines individuelles, d’un abaissement général de la valeur de la propriété : une sorte de liquidation des situations trop grevées, trop compromises; ensuite une reprise de la culture et de la fabrication, une exportation plus considérable qu’au temps de l’esclavage, une sorte de renaissance industrielle provenant en partie de l’amélioration des procédés de culture, mais coïncidant surtout avec l’introduction d’un grand nombre de cultivateurs étrangers engagés pour quelques années et rapatriés au terme de leur contrat. L’émancipation des esclaves dans les colonies anglaises avait été opérée en 1834; dès 1840, elles ne pouvaient plus suffire aux besoins de la consommation sur le marché réservé de la Grande-Bretagne. A la suite d’une longue enquête, on avait déclaré, dans la chambre des communes, que, les intérêts coloniaux étant favorisés aux dépens de la métropole, il fallait procéder à une révision des tarifs. Sir Robert Peel était en ce moment fort absorbé par la réforme de la loi sur les céréales; la recommandation de la chambre des communes n’eut pas de suite immédiate. C’est seulement sous l’administration de lord John Russell en 1846 que la révision du tarif des sucres fut proposée au parlement. Non-seulement la production dans les îles anglaises, quoique entièrement consommée en Angleterre, était insuffisante, mais le prix de cette denrée, qui ne rencontrait aucune concurrence sur le marché anglais, restait naturellement très élevé. L’opinion réclamait vivement une baisse de ce prix, et pour obtenir ce résultat, il fallait ouvrir le marché d’Angleterre au sucre étranger. Lord John Russell n’hésita pas : il présenta à la chambre un projet de loi dont le but était de faire admettre, dans un temps donné, sans aucune protection pour les produits nationaux, les sucres de toute provenance aux mêmes droits. Les plaintes furent véhémentes et la discussion passionnée. Les noirs avaient en grand nombre abandonné les plantations; on n’obtenait leur concours qu’avec des dépenses ruineuses; les salaires étaient devenus exorbitans. Subir en de telles circonstances la concurrence des sucres étrangers, c’était se voir exposé à une ruine presque inévitable, car les colonies étrangères, particulièrement Cuba et Porto-Rico, où non-seulement l’esclavage était en vigueur, mais où les ateliers restaient encore alimentés et renouvelés par la traite, pouvaient vendre leur denrée à bien meilleur marché que les îles