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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/650

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C’est à moi, dont ta main pressa la main amie,
De te dire tout bas : Ne crains rien ! je suis là !

Car j’ai ma mission ! car, armé d’une lyre,
Plein d’hymnes irrités, ardens à s’épancher,
Je garde le trésor des gloires de l’empire :
Je n’ai jamais souffert qu’on osât y toucher !


Celui qui a écrit ces strophes au mois de février 1840, c’est le poète à qui nous devons les Rayons et les Ombres. Tel était d’ailleurs le ton général sous le règne de Louis-Philippe. C’était le temps où M. Thiers, dans son discours de réception à l’Académie française, rappelant les grandeurs du XIXe siècle, s’écriait : « Nous avons vu César, César lui-même ! » C’était le temps où Michelet, dans ses cours du Collége de France, tenait le même langage à un auditoire passionné ; c’était le temps où Edgar Quinet consacrait tout un poème épique à Napoléon. Seul, M. Auguste Barbier, dans son ïambe intitulé l’Idole, avait résisté à l’entraînement universel.

À partir de 1849 (il est inutile de montrer ici ce que Balzac appelle l’envers de l’histoire, c’est-à-dire les affaires privées derrière les événemens publics), la pensée dominante de M. Victor Hugo fut exactement le contre-pied de celle qui l’avait inspiré jusque-là. Il admirait l’empereur, l’empereur idéal, l’empereur de tous les temps, celui qui tient le glaive, la main de justice, et devant lequel s’inclinent les rois. Dès qu’il l’apercevait dans le monde, n’importe à quelle date, que ce fût au moyen âge ou pendant la renaissance, ou vers la fin de la révolution, il allait à lui et chantait. Ce sera le contraire dorénavant. Son idée maîtresse depuis 1849, c’est la haine implacable dont il poursuit l’empereur, je dis l’empereur de tous les temps, celui du moyen âge ou de la renaissance, comme celui des temps modernes. Telle est, par exemple, sa préoccupation continuelle dans la première partie de la Légende des siècles. Qu’est-ce que Ratbert ? L’empereur féroce du moyen âge. Qu’est-ce que Sigismond ? L’empereur félon du temps de la renaissance. Qu’est-ce que le baron Madruce ? Un colonel mercenaire au service de l’empereur du XVIIe siècle, du lâche empereur écrasant ses peuples avec des étrangers qu’il paie. Au fond, c’est toujours la même figure, glorifiée naguère, aujourd’hui maudite.

Quel est donc le personnage qui va surtout occuper le poète en ce nouveau recueil de légendes épiques ? même dans ce chaos, même dans cette épopée humaine écroulée, comme dit l’auteur, il est impossible qu’on ne découvre pas un héros préféré. Le voici, c’est le titan. Le premier volume du moins est consacré à sa gloire ; chacun l’y reconnaîtra sans peine. Dans maintes pièces de ce vo-