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lume, c’est le titan qui est au premier plan et qui joue le premier rôle. Ici, du fond de son antre, il défie les puissances supérieures et les appelle tas de dieux. Là, quand il a été vaincu par les olympiens, il laisse en tombant la terre si désolée, que cette défaite des géans a toutes les apparences d’un cataclysme universel. Les dieux ont ravagé la terre, ils ont souillé tout ce qui était le charme de l’antique nature, abaissé tout ce qui en était la grandeur et la gloire. Plus de fleurs dans les champs, plus de géans sous le ciel. Les cyclopes, fils puînés de Démèter, sont des lâches. Au lieu de continuer la lutte pour venger leurs aînés, les cadets se sont soumis aux vainqueurs ; ils sont esclaves. Vulcain, le dieu cagneux, les emploie dans sa forge. Tout n’est pas fini cependant. Tournez la page, vous pourrez lire, si le livre ne vous tombe des mains, les prodigieuses aventures du grand vaincu enseveli sous la montagne ; c’est Phtos, l’aîné des colosses terrassés. Il brise ses chaînes, il secoue les blocs de granit, il sonde, il creuse, il sape, il se fraie une route, traverse des cavernes de soufre et de lave, des lacs empestés, des marécages fétides, toutes les casemates du chaos. Est-il libre ? Non pas. Au lieu de la montagne, c’est la terre tout entière qui pèse sur lui. Le voilà dans le puits de l’abîme ; il va toujours, couvert de sang et de fange. Il descend, il tombe, il tourne, il s’enfonce,… où est-il ? Quel est ce lieu sans nom ? Ce n’est pas un lieu, ce n’est pas même le vide, c’est le néant, la clôture à laquelle aboutissent les choses. Ce néant toutefois, sans se soucier de la logique, il l’attaque avec rage ; il est vrai que c’est en même temps une clôture, et qu’une clôture peut bien être dérangée par la main d’un titan. Ô puissance de la métaphore ! Cette image le sauve ; à coups de talon, à coups de poing, il ébranle la clôture ; puis, les bras tendus, il étreint un bloc, l’écarte, pratique un trou dans le mur et se trouve, un peu ahuri sans doute, mais fort commodément, à la fenêtre.

Phtos est à la fenêtre immense du mystère.
Il voit l’autre côté monstrueux de la terre,
L’inconnu, ce qu’aucun regard ne vit jamais ;
Des profondeurs qui sont en même temps sommets,
Un tas d’astres derrière un gouffre d’empyrées,
Un océan roulant au pli de ses marées
Des flux et des reflux de constellations ;
Il voit les vérités qui sont les visions ;
Des flots d’azur, des flots de nuits, des flots d’aurore,
Quelque chose qui semble une croix météore,
Des étoiles après des étoiles, des feux
Après des feux, des cieux, des cieux, des cieux, des cieux !
Le géant croyait tout fini ; tout recommence !