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admirablement inspiré. Il faut dire la même chose de son respect de l’enfance. Qui donc a mieux parlé des enfans que l’auteur des Feuilles d’automne ? On le retrouve tout entier, ce poète des plus beaux jours, dans l’Idylle du Vieillard, quand il disserte avec tant de grâce sur le bégaiement de la première année :

Trébucher, chanceler, bégayer, c’est le charme
De cet âge où le rire éclôt dans une larme.
Ô divin clair-obscur du langage enfantin !
L’enfant semble pouvoir désarmer le destin…
L’innocence au milieu de nous, quelle largesse !
Quel don du ciel ! Qui sait les conseils de sagesse,
Les éclairs de bonté, qui sait la foi, l’amour,
Que versent, à travers leur tremblant demi-jour,
Dans la querelle amère et sinistre où nous sommes,
Les âmes des enfans sur les âmes des hommes ?


C’est la même inspiration qui a dicté le poème si tendre intitulé Petit Paul, c’est un sentiment analogue qui a produit le sinistre tableau inscrit sous ce nom : Question sociale. Voilà le vrai Victor Hugo. Si je voulais passer en revue toutes les pièces du recueil, j’aurais à signaler comme une fantaisie étincelante, comme une œuvre pleine de cœur et de poésie, la légende de l’Aigle du casque ; quel que soit pourtant l’éclat de la fantaisie dans l’œuvre de M. Hugo, il faut toujours en revenir, quand on cherche le mieux, à tout ce qui rappelle chez lui l’étude sincère de la vie, la sympathie cordiale, la préoccupation des misères humaines. Le Petit Paul et la Question sociale d’une part, de l’autre Jean Chouan et le Cimetière d’Eylau, tels sont les chefs-d’œuvre de cette seconde série de la Légende des siècles.


On raconte qu’un éditeur contemporain, ayant proposé à M. Victor Hugo de publier un choix de ses poésies, un choix composé avec soin et pouvant donner de son inspiration une idée lumineuse que ne voilerait aucun nuage, reçut du poète une réponse conçue à peu près en ces termes : « Le voyageur qui revient du Mont-Blanc a-t-il l’idée de ramasser un caillou et de dire : Voilà la montagne ? » Ce n’est là peut-être qu’une invention satirique, une petite légende littéraire du XIXe siècle ; mais, si par hasard l’histoire se trouvait exacte, il est certain que l’illustre poète en aurait le démenti, car l’avenir lui donnerait tort. Ce qu’il refuse de faire pour nous, l’avenir le fera pour nos fils. Dans cette œuvre si glorieuse et si mêlée, la postérité choisira. Elle aura le droit d’être vigilante en son admiration, car il s’agira de faire honneur au maître qui, l’un des premiers parmi les premiers, a écrit quelques-