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uns des plus beaux vers de la poésie française. Je le vois d’avance, cet écrin splendide, je le vois rempli non pas de cailloux, comme dit le poète, mais de diamans. L’introduction du recueil sera empruntée à une page des Rayons et des Ombres. On y lira les vers que M. Victor Hugo, il y a trente-sept ans, adressait à un grand statuaire :

Considère combien les hommes sont petits,
Et maintiens-toi superbe au-dessus des partis !
Garde la dignité de ton ciseau sublime.
Ne laisse pas toucher ton marbre par la lime
Des sombres passions qui rongent tant d’esprits.
Michel-Ange avait Rome, et David à Paris.
Donne donc à ta ville, ami, ce grand exemple,
Que, si les marchands vils n’entrent pas dans le temple,
Les fureurs des tribuns et leur songe abhorré
N’entrent pas dans le cœur de l’artiste sacré.


Ce livre d’or, où devra briller le cœur de l’artiste, ne renfermera donc que les pages sublimes ou charmantes, terribles ou gracieuses, que protégera toujours le sentiment de l’humanité. Les haines, les violences, les injustices, les impiétés, tout ce qui abaisse l’homme, tout ce qui diminue Dieu, en sera impitoyablement retranché. On n’y verra pas non plus ce qui fait tort à la gravité du poète et provoque le sourire : plus de titan à la fenêtre dans le puits de l’abîme, plus d’Attila faisant des concetti, plus de ces grands fleuves associés par la rime dans le même compartiment de chemin de fer. La nouvelle série de la Légende des siècles y sera pourtant représentée par plus d’un poème. Nous serions bien trompé, et le jugement définitif nous paraîtrait bien sévère, si la postérité n’y admettait pas au moins l’Idylle du Vieillard, l’Aigle du casque, Question sociale et Petit Paul, Jean Chouan et le Cimetière d’Eylau.


Saint-René Taillandier.