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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/674

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près de Briançon. Elle se cache au fond d’une haute vallée, derrière les grandes cimes, sur le promontoire englobé dans la bifurcation de la vallée principale. Clairières par la hache et le pâturage, les auviers ont été partiellement envahis par le mélèze ; les plus gros pins, mesurant 1 mètre de diamètre et comptant sept ou huit siècles, sont tout voisins des chalets de la Torre, où les bestiaux ne montent qu’au 15 juillet et seulement pour cinq semaines.

En Europe, c’est dans la haute vallée de l’Inn, dans l’Engadine et le Tyrol allemand, que le cembro est le plus abondant. On le retrouve à la naissance de quelques vallées des Carpathes, puis dans l’Oural, puis sur l’Altaï, enfin autour de la mer d’Okhotsk.

C’est un bel arbre, dont la hauteur arrive à une quinzaine de mètres. Les branches, très souples, ploient sans se rompre sous le poids de la neige la plus épaisse. Par ses aiguilles molles, quinées, et d’un vert brillant, il ressemble beaucoup au pin du lord Weymouth, répandu dans les jardins ; mais les feuilles sont plus abondantes et agglomérées sur le cembro, la cime arrondie par en haut n’est qu’une masse de feuillage, où aime à se cacher le tétras à queue fourchue. Ce bel oiseau, plus gros qu’un faisan, s’y dérobe aux regards ; même après l’avoir vu pénétrer dans la cime on ne peut l’y découvrir ; aussi ne la quitte-t-il qu’à son gré et ordinairement à l’insu du chasseur.

L’écorce du pin cembro, fraîche et verdâtre pendant la jeunesse de l’arbre et garnie de réservoirs pleins de térébenthine, devient à la longue sèche et d’un gris roux. Les racines nombreuses, étalées autour du pied des vieux cembros, s’étendent au loin en éventail, saillantes à demi et fixant le sol de la manière la plus sûre. Ce sont les terrains frais qui conviennent d’ailleurs à la forêt de cette essence. Les clairières en sont garnies d’airelles ou de rhododendrons servant de remise aux tétras, aux chamois, aux lièvres blancs et aux lagopèdes. L’écureuil et le casse-noix y abondent, picorant les cônes et cassant l’enveloppe solide des graines pour en grignoter l’amande. Les indigènes font aussi la récolte de ces fruits recherchés faute de mieux dans ces froides régions. La graine, à la coque plus dure qu’une noisette, ne germe que deux ans après sa chute et demeure exposée ainsi à toutes les causes de destruction ; le jeune plant reste pendant de longues années faible, grêle et exposé à être foulé par les bestiaux ; aussi la reproduction de ces forêts, une fois qu’elles ont été réduites à un petit nombre d’arbres, est-elle bien compromise. C’est de loin en loin, à l’abri d’une roche ou entre les racines d’un arbre au couvert léger, d’un mélèze par exemple, que se développent par hasard les derniers représentans de l’essence, nous ne la connaîtrions déjà plus en France sans sa grande longévite.