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nœuds, sains et solides; c’est un inconvénient pour la fente. Cependant on en fait du merrain pris dans les fûts le mieux filés; les tonneaux donnent bien au vin un petit goût de résine pendant un ou deux ans, mais ensuite ils se comportent parfaitement et durent des centaines d’années. La plupart des futailles des Hautes-Alpes sont en mélèze; l’usage de ce merrain, naturellement rare, est restreint aux vignobles des vallées profondes dominés par les forêts.

Les bois des Alpes sont généralement consommés sur place, et il ne s’en fait pour ainsi dire aucun commerce. Provenant en immense majorité de forêts communales, ils sont presque tous délivrés aux habitans à titre à pou près gratuit. Aussi le prix des bois d’œuvre est-il plutôt nominal ou accidentel que bien réel dans les Alpes françaises. En 1855, un mélèze déraciné dans la forêt de Saint-Chaffrey, vers la naissance du torrent de Sainte-Elisabeth, fut mis en vente par hasard, et par hasard encore il était désiré par deux personnes, l’entrepreneur des travaux militaires et le propriétaire de la seule usine du pays. C’était un gros arbre, mort en cime depuis longues années et dont la partie sèche avait été brisée par la chute. Ce fût, d’une longueur de 17 mètres, mesurant encore 2 mètres de tour à la cassure, offrait 7 mètres cubes de bois d’œuvre sain. Il fut adjugé à 250 francs, et l’on estimait que le débit et la descente du bois jusqu’à la route de la vallée coûterait pareille somme ; le prix s’éleva donc à 36 francs le mètre cube de bois rond dans la forêt et au double environ sur voitures. Ce n’est là qu’un fait accidentel ; mais ce qui est certain, quant à la valeur intrinsèque du mélèze, c’est qu’à l’emploi il vaut le chêne.

Ce bois est un combustible médiocre. Sous le rapport de la puissance calorifique, il est intermédiaire entre le pin et le hêtre; mais il brûle mal, d’une manière inégale, et il éclate au feu en lançant des parcelles enflammées; aussi lui préfère-t-on les bois feuillus des vallées, même le cerisier. Les ramilles de mélèze brûlées sur l’âtre des chalets font beaucoup de fumée et pétillent vivement en donnant une odeur agréable.

L’écorce jeune sert au tannage des peaux; elle n’est pas riche en tannin comme celle du chêne, mais elle donne une bonne odeur au cuir. La térébenthine de Venise provient du mélèze. On l’extrait en ouvrant à la base de l’arbre, avec une grosse tarière, un trou profond et incliné de bas en haut ; la résine, abondante surtout dans le cœur de l’arbre, s’écoule par cette ouverture. L’opération n’est rémunératrice que sur les arbres déjà gros ; mais elle les appauvrit, en abrège la vie et fait perdre au bois ses meilleures qualités. C’est un petit profit pour une grande perte.

Il n’en est pas de même des produits du pâturage dans les forêts de mélèze. Le massif est naturellement clair, le feuillage léger, le