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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/703

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de faim, est tenu de faire beaucoup produire, beaucoup rapporter à ce qui lui reste; la culture intensive est la suprême ressource des propriétaires dont on a écorné le patrimoine. C’est à dater de 1807 que la Prusse est devenue le pays de l’Europe où le gouvernement s’occupe le plus des particuliers, soit pour les élever, pour les instruire, soit pour leur imposer des sacrifices souvent fort onéreux, ce qui est encore une manière de travailler à leur éducation. Dans son mémoire, Hardenberg proposait et réclamait en principe ces deux grandes institutions, qui ont transformé la monarchie du grand Frédéric, à savoir le service militaire universel et l’instruction primaire obligatoire. En les adoptant, la Prusse allait devenir, comme il le désirait, une monarchie de droit divin reposant sur des institutions démocratiques, car rien n’est plus démocratique que le service universel et que l’enseignement obligatoire. Napoléon était loin de se douter que la conséquence de la bataille d’Iéna serait de créer un peuple où tout le monde saurait lire et écrire, et où tout le monde serait soldat.

Comme Hardenberg, Altenstein comprenait tout ce que peut le maître d’école, non-seulement pour guérir un peuple de l’ignorance et de la superstition, mais pour développer en lui les vertus civiques. Ces réformateurs de 1807 avaient l’esprit libre et généreux; ils s’occupaient d’élever des Prussiens, ils voulaient en même temps que ces Prussiens fussent des hommes. Altenstein rédigea, lui aussi, un mémoire, dont M. Ranke cite quelques fragmens. Nous y lisons que ce n’est pas l’étendue de son territoire qui fait un grand peuple, qu’une nation diminuée et mutilée peut encore aspirer à la première place, si elle travaille plus que les autres à l’éducation du citoyen, à l’ennoblissement de l’individu par l’instruction, au progrès de l’humanité, dont la raison est le bien suprême. Altenstein et Hardenberg jugent, l’un et l’autre, que, pour accomplir cette glorieuse entreprise, l’état doit appeler la religion à son aide et lui faire sa place dans l’école; mais la religion telle que l’entendent ces disciples de Kant n’est pas un dogmatisme à formules ni une dévotion à petites pratiques. — « L’essence de la religion, disait Hardenberg, consiste à envisager la vie comme l’apprentissage d’une autre existence, dont le pressentiment est en nous; elle consiste dans le commerce avec l’idéal, qui nous initie à cette existence meilleure, dans nos rapports intimes avec l’être incompréhensible que nous appelons Dieu, dans la foi à l’immortalité de l’âme, dans l’assurance que notre destinée fait partie d’un plan qui embrasse l’univers. » Il voulait que l’état s’employât de tout son pouvoir à la propagation de l’idée religieuse, mais qu’il eût un respect infini pour les franchises de la conscience, qu’il s’abstînt de prendre parti pour aucun système, pour aucune secte, qu’il autorisât toutes les recherches de la critique, même ses indiscrétions, et le libre exercice de tout culte qui ne blesse pas la morale.