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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mars 1877.

Le rideau est tombé pour un mois sur le théâtre de nos affaires intérieures à Versailles; il reste levé sur cet autre théâtre plus vaste où s’agite toujours l’émouvant problème des destinées prochaines de l’Europe, de la paix ou de la guerre. Les vacances politiques de Pâques sont venues à propos dans tous les pays pour laisser à la diplomatie un peu de liberté, à la sagesse des gouvernemens le temps de prendre un parti en dehors de ces excitations d’opinion qui ont assailli et peut-être embarrassé lord Derby jusqu’à la dernière séance du parlement. La vérité est que, depuis quelques semaines, cette éternelle crise orientale, dont on ne cesse de poursuivre le dénoûment, passe par de singulières péripéties, et que le continent européen vit dans une fatigante incertitude, trop facilement exploitée par toutes les imaginations inventives ou par toutes les spéculations intéressées. Le matin il y a un protocole, c’est entendu, tout est arrangé à la satisfaction commune, au moins pour le moment; le soir il n’y a plus de protocole, on n’a pas réussi encore à trouver l’euphémisme sur lequel toutes les politiques doivent s’entendre sans trop s’expliquer. Un jour les difficultés sont censées venir de Londres, un autre jour elles viennent de Saint-Pétersbourg. Hier, c’était la paix, disait la Bourse, aujourd’hui c’est la guerre, en attendant que la conciliation triomphe de nouveau, et le drame suit son cours, ayant pour principal personnage le général Ignatief, qui voyage de Paris à Londres, part pour Vienne, repasse à Berlin, soignant toujours ses yeux, cherchant sa solution au milieu des interrogatoires importuns d’une multitude de curieux dont il se moque. Chose essentielle, cette incertitude même, dont le voyage prolongé du général Ignatief est le signe visible, cette incertitude prouve que, s’il y a des difficultés, les gouvernemens ne sont pas au bout des concessions mutuelles, qu’ils ne sont nullement disposés à jouer sur un mot le repos du monde et que la paix garde toutes ses chances, dût-elle être laborieusement conquise.