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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/708

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RVUE DES DEUX MONDES.


On devait bien jusqu’à un certain point s’attendre à ces difficultés, à quelque crise plus ou moins aiguë, plus ou moins décisive dans les affaires d’Orient. Lorsque la conférence de Constantinople se séparait, il y a deux mois, après s’être entendue sur un programme platonique de réformes et de pacification, mais sans avoir réussi à faire accepter ses résolutions par la Turquie, il était parfaitement clair qu’on n’en resterait pas là, qu’on entrait tout au plus dans une phase nouvelle. Il était évident que la Russie, après avoir réuni une nombreuse armée sur la frontière du Pruth, ne s’en tiendrait pas à une vaine démonstration, que la Porte, qui n’avait pas même encore fait sa paix avec la Serbie et le Monténégro, aurait des comptes à rendre, en un mot que cette délibération européenne qui venait de se produire avec quelque solennité devrait avoir une sanction ou un dénoûment. La circulaire par laquelle le prince Gortchakof, s’armant de l’échec de la conférence, demandait aux autres gouvernemens ce qu’ils entendaient faire pour sauvegarder l’honneur de leur politique, les intérêts dont ils avaient pris la protection, cette circulaire était le prélude, une sorte de prise de position ou un appel à des résolutions nouvelles; mais sous quelle forme donner aux délibérations de la conférence une sanction efficace, à demi satisfaisante? Dans quelles limites les diverses puissances pouvaient-elles se prêter à des expédiens nouveaux pour assurer leur action protectrice en Orient sans aller jusqu’à la coercition? Comment concilier à la fois la dignité de l’Europe, les engagemens personnels de la Russie, l’indépendance de l’empire ottoman, le maintien des traités ? C’était là toujours le problème, et c’est ce qui se débat encore dans le secret souvent assez mal gardé des conversations diplomatiques. Aujourd’hui, deux mois après les délibérations infructueuses de Constantinople, la situation peut se résumer ainsi : la Porte a fait sa paix avec la Serbie, elle n’a pas réussi encore à traiter avec le Monténégro, qui probablement met un certain calcul à ne point se hâter, et pendant ce temps la question des réformes ou, pour mieux dire, de l’attitude générale de l’Europe vis-à-vis de la Turquie au sujet des réformes, cette question reste entière; elle s’est relevée ou précisée dans ces négociations que le général Ignatief a eu la mission de poursuivre à travers l’Occident. L’habileté du diplomate, le rôle qu’il a joué dans la crise orientale, tout indique l’importance de l’acte que la Russie a voulu accomplir en chargeant le général Ignatief d’aller demander à l’Europe le complément de l’œuvre de la conférence, la réponse à la circulaire du prince Gortchakof.

Deux intérêts sont en présence dans ces négociations qui n’ont cessé d’être actives depuis quelques jours, qui ont provoqué déjà plusieurs conseils de cabinet à Londres et des communications de toute sorte en Europe. Il s’agit de sauvegarder la paix générale, la paix de l’Occident, sans se désintéresser des affaires d’Orient, sans abandonner le rôle de