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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/712

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RVUE DES DEUX MONDES.

L’Angleterre croit faire merveille, elle signe le protocole de 1826, puis en 1827 le traité de Londres, — qui conduit malgré elle à Navarin et à la guerre. La Russie de son côté, en effet, tire parti de tout au milieu d’une complication que, selon M. de Metternich, « elle déclare tantôt russe, tantôt européenne, et qui n’est ni l’un ni l’autre. » Elle s’efforce de se représenter comme la mandataire de l’Europe, comme l’exécutrice des décisions des conférences. « Il faut que cette affaire se termine, dit l’empereur Nicolas; si les autres cours n’ont pas envie de la suivre, qu’on me laisse agir à moi seul, je trouverai moyen d’en finir. » M. de Nesselrode à son tour répète : « Laissez-nous faire, vous serez contens de nous, vous finirez par nous applaudir! »

La Russie excitée s’engage par degrés, et le jour vient où le chevalier de Gentz écrit comme si c’était hier : « L’empereur ne veut pas la guerre, c’est une vérité de fait sur laquelle il n’y a plus de doute. Son cabinet ne la désire pas plus que lui; mais il lui faut, d’après sa manière de voir, quelque satisfaction éclatante pour apaiser la voix publique. Les Russes se soucieront très peu de l’aplanissement de tel ou tel grief réel ou imaginaire... Le seul objet qui les intéresse, le seul dénoûment qu’ils demandent et qui leur ferait oublier tout le reste, c’est que l’on trouve le moyen d’obliger la forte à une démarche quelconque de soumission formelle et ostensible, à une espèce d’amende honorable qui contenterait l’orgueil national en prouvant que leur gouvernement n’a point perdu cette attitude dominante qu’il occupait à Constantinople... » — Et tout finit par cette guerre de 1828 en présence de laquelle l’Angleterre, désabusée, se croyant prise au piège et trompée, est réduite à de vaines protestations. Elle appelle la guerre « un événement qui fera naître des alarmes et excitera des passions incompatibles avec la paix du monde civilisé... » L’Angleterre refuse de voir une conséquence du traité de Londres dans une « œuvre qui, au lieu d’assurer la pacification du Levant, peut amener une guerre générale en Europe. » L’Angleterre y songeait trop tard, et en fin de compte, que gagnait la Russie elle-même à cette guerre de 1828? Elle y trouvait sans doute des succès militaires chèrement achetés; mais quelle influence cette campagne d’entraînement avait-elle sur la question d’Orient? quelles améliorations, quels bienfaits de civilisation laissait-elle dans ces provinces turques où elle entrait en victorieuse? Qu’y a-t-il donc de si tentant à recommencer presque dans les mêmes conditions une guerre qui rencontrerait peut-être plus de difficultés encore qu’autrefois et qui n’assurerait pas plus d’avantages qu’en 1829, parce qu’en définitive la Russie serait obligée de s’arrêter devant l’Europe attentive, inquiète, bientôt menaçante?

Non, en vérité, rien n’est nouveau, ni les entraînemens, ni les résistances possibles, ni même les allusions irrespectueuses aux scènes sanglantes des pays les plus civilisés qui faisaient scandale dans la dernière