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REVUE. — CHRONIQUE.

conférence et que Gentz, pour excuser à demi les Turcs, se permettait dès 1827. Entre le passé et le présent, il y a pourtant une différence. L’empire ottoman n’est plus, il semble du moins aspirer à ne plus être ce qu’il était autrefois. Tandis que dans toutes les cours de l’Europe on poursuit ces négociations dont la Turquie est l’objet sans être interrogée ni consultée, Constantinople est le théâtre d’un événement à coup sûr singulier et original dans tous les cas, s’il n’est pas le commencement d’une transformation imprévue et sérieuse. C’en est fait, il ne faut plus s’étonner de rien, le premier parlement ottoman existe ! Il s’est réuni l’autre jour sous la coupole de Dolma-Bagtché, dans une de ces salles du palais d’où le regard embrasse l’entrée du Bosphore, la Corne d’or, la côte d’Asie, Scutari, la mer de Marmara. Le sultan en personne a prononcé ou a fait lire en sa présence un discours de la couronne qui n’est pas plus mauvais qu’un autre, qui désavoue sans phrase le gouvernement absolu et reconnaît « qu’une bonne administration permettrait à la Turquie de faire en peu de temps des progrès considérables. » Il y avait depuis deux mois une constitution, — dont le père, Midhat-Pacha, est occupé aujourd’hui, il est vrai, à compléter son instruction par un voyage d’exilé dans l’Occident; il y a maintenant à Constantinople des sénateurs et des députés musulmans, chrétiens, grecs, arméniens, arabes, israélites, venus de toutes les parties de l’empire, d’Europe et d’Asie, de Koniah, d’Erzeroum, d’Angora, de Diarbekir. Ils sont entrés dans leur rôle, ils discutent leur règlement. Nous entendions un jour un des plus éminens diplomates de Paris expliquer d’une manière piquante comment les Turcs seraient plus propres que d’autres au régime parlementaire, — parce qu’ils ne parlent pas ou parlent peu! Ils sont moins silencieux qu’on ne l’aurait cru, et s’ils ont leur apprentissage à faire, s’ils appellent encore l’adresse au sultan une lettre de remercîment, ils ne sont pas après tout beaucoup plus novices que d’autres qui se croient plus habiles. C’est pour le moins un spectacle bizarre que cette représentation constitutionnelle inaugurée par le porteur du sabre d’Othman.

Qu’en sera-t-il réellement de cette expérience qui s’ouvre à peine, qui répond ou a la prétention de répondre par une révolution de libéralisme, par des profusions de réformes aux propositions plus modestes, plus spéciales de la dernière conférence? Rénovation sérieuse ou accélération de la décadence, c’est l’affaire de l’avenir. Dès ce moment, dans tous les cas, ce serait de la part de la Turquie une dangereuse méprise de se faire un bouclier des institutions qu’elle vient de se donner pour résister à tout, de se servir de ses chambres pour redoubler de raideur dans ses négociations avec le Monténégro, pour repousser ce que les puissances pourront lui demander, désarmement ou garanties. Si la Russie, dans sa haute position, a aujourd’hui une occasion de se faire honneur en identifiant complètement sa politique avec la politique de