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RVUE DES DEUX MONDES.


Le malheur du parti républicain qui domine aujourd’hui et qui a surtout la prétention de dominer, c’est d’avoir longtemps vécu d’idées chimériques, de violences et de séditions. Il s’est formé à l’école des choses impossibles ou dangereuses, si bien que le jour où il est au pouvoir il se sent à la fois inexpérimenté et impatient; il se débat entre les nécessités de gouvernement qu’il est obligé de subir et les habitudes d’opposition qui l’entraînent, qui pèsent sur lui comme une fatalité. C’est un danger auquel personne n’échappe, pas même les hommes les plus éminens de l’opinion républicaine, pas même M. le président du conseil : témoin ce qui lui est arrivé l’autre jour à l’occasion des poursuites dirigées contre un jeune député impérialiste, M. Paul Granier de Cassagnac. Que M. le procureur-général de la cour de Paris ait cru devoir demander à la chambre l’autorisation de poursuivre le député du Gers pour diverses attaques contre la chambre elle-même, contre les institutions, contre la république, c’est une affaire de justice qui se dénouera devant les assises ou devant le tribunal de police correctionnelle. Nous n’avons rien à voir dans des poursuites que la chambre des députés s’est naturellement empressée d’autoriser. La discussion qui a précédé le vote d’autorisation ne laisse point vraiment d’être instructive. M. le président du conseil est certes un homme qui, par la séduction de son talent, par l’habileté de sa parole, comme par la modération de son caractère, est fait pour échapper à bien des inconvéniens. Il nous permettra de croire que pour cette fois il ne les a pas tous évités, qu’il a commis une méprise politique et a mis ses embarras à l’abri d’une étrange théorie. La méprise politique consiste à être trop vivement entré dans le débat en faisant une sorte de piédestal au député du Gers, en avouant qu’il avait voulu frapper en lui le bonapartisme à la tête, ce qui était tout à la fois grandir l’accusé et donner à la poursuite le caractère d’un duel tout politique ; mais voici qui est bien plus singulier ! M. Jules Simon a des idées qu’il a souvent exprimées dans l’opposition, qui sont suffisamment connues, sur la liberté complète de la presse, sur la difficulté de définir un délit d’opinion, sur l’inutilité des lois répressives. Ministre, il est bien obligé d’accepter ces lois, dont il sent la nécessité et dont il défend même une partie devant la commission de la presse. Comment concilier les anciennes idées d’opposition et les devoirs du gouvernement? C’est bien simple. Des procès de presse, M. Jules Simon ne veut en faire à aucun prix. Ce qu’il a donné l’ordre de poursuivre, c’est un ensemble de délits de droit commun. On lui fait observer, il est vrai, que ces délits sont qualifiés et punis par les lois sur la presse que M. le procureur général invoque naturellement dans son réquisitoire. Qu’à cela ne tienne. M. le procureur général fait ce qu’il veut; M. Jules Simon, quant à lui, ne s’occupe pas du réquisitoire, il n’invoque pas les lois sur la presse, il ne poursuit que des délits de droit commun, — et moyennant cette distinction tout