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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/77

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l’existence de cette sorte de seconde vue de l’instinct qui supplée parfois à celle des yeux. J’en ai eu une preuve assez singulière. Deux petites filles étaient à travailler seules pendant la récréation dans une salle où j’entrais. L’une d’entre elles transcrivait une composition d’orthographe, l’autre copiait de la musique. La première fut invitée à nous donner lecture de sa composition. C’était, il m’en souvient, une description du boulevard et de ses boutiques ; comme la petite fille nous donnait lecture de cette description, sans hésitation, mais d’une voix traînante, et comme je l’écoutais un peu distraitement tout en me demandant si c’était là un sujet très bien choisi, je me pris à regarder sa compagne, gentille enfant, aux cheveux blonds, aux traits délicats et qui aurait été jolie si des yeux expressifs avaient animé son visage. Elle avait continué son travail de copie ; mais peu à peu et sans que j’eusse conscience d’avoir fait un mouvement qui pût lui indiquer que mon attention s’était portée sur elle, elle eut le sentiment que je la regardais ; elle rougit légèrement, cessa de copier sa musique et leva la tête comme si elle s’attendait à ce que je l’interrogeasse. J’avoue que je sentis expirer sur mes lèvres ces paroles banales d’encouragement qu’on adresse dans les écoles aux petites filles bien sages. Je ne sus que lui poser amicalement la main sur l’épaule, pour lui montrer qu’elle ne s’était pas trompée, et lui demander quel âge elle avait. Elle me répondit : Seize ans. Seize ans !

Moins connue et non moins intéressante’ est la maison des sœurs aveugles de Saint-Paul, située rue d’Enfer, no 88. Cette maison est établie sur un terrain qui a appartenu autrefois à Chateaubriand et qui a été légué par lui à l’archevêché de Paris. L’ancien salon de Mmû de Chateaubriand forme aujourd’hui une partie de la chapelle, et la salle à manger a été transformée en sacristie. La maison a un double but : recevoir des petites filles aveugles qui appartiennent à des familles indigentes ; donner aux jeunes filles aveugles qui se sentiraient animées de la vocation religieuse les moyens de satisfaire cette vocation, en les admettant à prononcer leurs vœux et à faire partie de la communauté. Cet ordre est unique en France et peut-être au monde. C’est en effet une règle générale des communautés religieuses de ne pas admettre dans leur sein des novices ayant une infirmité incurable. Aussi l’ordre a-t-il été fondé dans cette destination spéciale ; bien que, sur les 52 sœurs dont il se compose, il n’y en ait que 18 qui soient privées de la vue, la communauté n’en porte pas moins le nom de communauté des sœurs aveugles de Saint-Paul, pour mieux marquer son but et mettre ainsi sur un pied d’égalité les aveugles et les voyantes. Les sœurs aveugles sont de préférence employées