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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/774

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plus loin, au-delà des maisons et de l’enceinte : pour être sûr de la mieux comprendre, il n’est pas mauvais d’en sortir. Passons, si vous le voulez, par la porte Pia et suivons la vieille voie Nomentane. Après avoir salué en passant la basilique de Sainte-Agnès et le temple rond qui servit de sépulture à la sœur de Constantin, on arrive au Teverone, qu’on passe sur un pont très original qui porte encore des constructions du moyen âge. Quelques pas plus loin, à droite, s’élève une colline d’une étendue et d’une hauteur médiocres; il faut la gravir avec respect, car elle porte un grand nom dans l’histoire : c’est le Mont-Sacré. La démocratie a remporté là, il y a plus de deux mille ans, l’une de ses premières victoires, et pour l’obtenir elle a usé d’un moyen dont elle se sert encore très volontiers, la grève. Un beau jour, l’armée romaine, c’est-à-dire toute la population valide, quittant les campemens où les consuls s’obstinaient à la retenir, vint s’établir sur cette montagne, décidée à y rester tant qu’on refuserait d’accepter ses conditions. Il lui suffit d’attendre pour vaincre. L’aristocratie, effrayée de sa solitude, se lassa de résister, et elle permit au peuple d’instituer le tribunat. Que de souvenirs se pressent à l’esprit du haut de cette colline! Cette immense plaine ondulée qu’embrasse le regard est celle où, suivant l’expression d’un historien, les Romains firent l’apprentissage de la conquête du monde. Tous les ans, il leur fallait combattre les petits peuples énergiques qui l’habitaient, et l’on s’y livrait des batailles furieuses pour la possession d’une bicoque ou le ravage d’un champ de blé. C’est là que, dans une lutte de plusieurs siècles, ils prirent l’expérience de la guerre, l’habitude d’obéir et le talent de commander. Quand ils franchirent ces montagnes qui encadrent de tous côtés l’horizon pour se répandre sur le reste de l’Italie, leur éducation était faite; ils possédaient déjà les vertus qui les rendirent capables de tout conquérir. Depuis lors, que d’événemens glorieux ! que de fois ces grands chemins, dont on suit encore la direction à la ligne de tombeaux qui les bordent, ont vu revenir les légions triomphantes! que de noms illustres rappellent à la mémoire ces fragmens d’aqueducs, ces débris de monumens qui couvrent la plaine ! — Et nous avons ici l’avantage qu’une fois ces grands souvenirs ranimés, rien n’en peut distraire. Dans les pays fertiles, habités, pleins d’agitation et de mouvement, le présent nous arrache sans cesse au passé. Comment continuer à rêver et à méditer, quand le spectacle de l’activité humaine sollicite à chaque instant notre attention, quand les bruits de la vie arrivent de tous côtés à notre oreille? Ici, au contraire, tout est silence et recueillement. Aussi loin que l’œil peut s’étendre, il n’aperçoit qu’une plaine nue, couverte à peine d’un maigre gazon, sans arbres que quelques pins parasols disséminés, sans maisons que quelques auberges pour