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pas là tout à fait une exception; je crois qu’il n’est pas téméraire d’espérer que ce qui s’est passé à Saint-Clément se reproduira plus d’une fois encore, et voici la raison qui me le fait croire. Rome, comme toutes les grandes capitales, a été plusieurs fois rebâtie dans le cours de sa longue existence, mais la façon dont les Romains s’y prenaient pour renouveler et rajeunir leur ville était moins fatale que la nôtre aux vieux débris du passé. Aujourd’hui on les démolit; on se contentait alors de les enterrer. Nous tenons avant tout à faire des avenues droites, et, pour rendre la circulation plus facile aux innombrables voitures qui parcourent nos rues, nous aplanissons les hauteurs, nous supprimons les collines. On peut donc dire que le sol de Paris se creuse sans cesse; celui de Rome au contraire s’élevait toujours. Les grands seigneurs romains qui voulaient égayer leurs yeux par une vue plus étendue, ou qui cherchaient simplement à jouir d’un air plus pur sous ce climat empesté, avaient coutume de bâtir leurs maisons sur des substructions immenses. De même, quand on voulait faire un quartier neuf, on commençait par combler l’ancien avec des terres rapportées et l’on construisait par-dessus. Il est donc à peu près certain que, si l’on enlève ces terres, on retrouvera le sol primitif et les restes des constructions antiques.

Mais sera-t-il possible de se reconnaître parmi ces ruines? C’est ce qu’il importe avant tout de savoir : il est clair qu’on ne pourra tirer quelque profit pour l’histoire de ces décombres amoncelés, de ces fondations de maisons, de ces pavés de temples ou de rues, que si l’on peut dire à quel quartier ils appartenaient, de quel ensemble de monumens ils faisaient partie. Peut-on espérer sérieusement d’y réussir? Les sceptiques en doutent beaucoup; ils se permettent même de railler les archéologues, qui ont la prétention de ne rien ignorer et qui n’hésitent pas à donner des noms aux moindres masures qu’ils rencontrent. Je crois, malgré ces railleries, que les archéologues ont raison. Les renseignemens abondent sur l’ancienne Rome : les orateurs et les historiens sont prodigues de détails au sujet des lieux où se sont passés les événemens qu’ils rapportent. Les poètes, surtout ceux qui, comme Horace, nous racontent volontiers leur vie, sont amenés à parler souvent des quartiers où ils aimaient à vivre. Ce qu’ils nous disent de ces divers quartiers et des monumens qu’ils contenaient nous fournit déjà des indications précieuses; mais nous avons des moyens encore plus sûrs d’arriver à les bien connaître. Aujourd’hui un voyageur qui veut se diriger dans une ville étrangère se sert d’une carte et d’un guide, il y avait aussi des cartes et des guides du voyageur chez les Romains. Un peuple à la fois si curieux et si positif, qui était forcé de courir le monde et qui avait besoin de le connaître pour pouvoir le gouverner, ne pouvait pas ignorer l’utilité des cartes