Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/792

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ayant tenu à laisser un souvenir de lui sur le lieu le plus célèbre et le plus fréquenté de Rome, c’est un amas de temples, de basiliques, d’arcs de triomphe, parmi lesquels il est difficile de se reconnaître. On en construisait sans cesse de nouveaux, et quand on réparait les anciens on trouvait toujours moyen de les agrandir : c’est ainsi que par ces envahissemens successifs le Forum est devenu de plus en plus étroit. La partie même qui s’étendait entre ces édifices, et qu’on aurait dû laisser libre pour l’usage du public, était encombrée de trophées, d’édicules, de colonnes, de statues surtout, qui formaient, selon l’expression de Chateaubriand, tout un peuple mort au milieu d’un peuple vivant. La vanité les avait tellement multipliées que le sénat fut quelquefois obligé d’en faire ôter une partie. Parmi ces colonnes, il y en avait qui tenaient une place considérable : elles étaient entourées d’un balcon qui dominait tout le Forum ; les jours où un candidat heureux et reconnaissant donnait au peuple quelque spectacle, les descendans de ceux en l’honneur desquels la colonne avait été construite avaient le droit de venir se placer avec leur famille à cette sorte de tribune, pour regarder de là les gladiateurs ou les athlètes. Il ne me paraît donc pas douteux qu’au premier aspect le Forum ne soit exposé à déplaire, que cet entassement de richesses ne fatigue l’esprit, et qu’on ne regrette de n’y pas trouver un peu plus d’ordre, de simplicité, de symétrie.

Je crois pourtant que, si nous oublions un moment nos exigences et nos habitudes, notre œil finira par se faire à ce spectacle un peu confus, et que nous pourrons même arriver à y trouver un certain pittoresque qui ne se rencontre pas dans la régularité solennelle et froide de nos grandes places. Il nous deviendra alors assez facile de nous rendre compte du plan général du Forum, qui semblait d’abord n’avoir aucun plan. Il s’étendait de l’ouest à l’est et ne formait pas tout à fait, comme on l’a dit, un carré long, mais plutôt une sorte de trapèze, car il était plus large du côté du Capitole qu’à l’extrémité opposée. Au milieu des rues qui le bordaient de tous les côtés, on avait ménagé un espace pavé de larges dalles, et qui formait, ainsi que je l’ai dit, une place intérieure, réservée aux promeneurs et aux oisifs. A l’extrémité de cette place, vers le Capitole, se trouvait la tribune aux harangues de la république, celle d’où parlèrent les Gracques et Cicéron. On en voit encore les substructions près de l’arc de Sévère. La tribune de César était juste en face. Ainsi donc, quand on y est placé comme nous l’avons supposé tout à l’heure, on a devant soi les rostres de la république; derrière les rostres, le temple de la Concorde, bâti par Camille, et au fond le Tabularium, où se gardaient les archives de l’état. A droite, la voie Sacrée, qui entrait dans le Forum près du temple d’Antonin et de Faustine, en parcourait le côté du nord, celui qui n’a pu être