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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/794

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leur confier, ou celui qu’ils consentaient à prêter sur de bonnes garanties et à d’énormes intérêts. Là se rencontraient les intendans des grandes maisons, les chevaliers engagés dans les fermes publiques, les négocians, les usuriers, les emprunteurs; on y traitait des affaires importantes, on y devenait riche assez vite, mais on y redevenait pauvre plus vite encore : que de fortunes qu’on croyait solides sont venues, suivant l’expression d’Horace, faire naufrage entre les deux Janus !

Le Forum servait encore à donner quelquefois des spectacles populaires, surtout des combats de gladiateurs. Je n’ai pas besoin de dire qu’il était fort encombré ces jours-là. « De tous les jeux, dit Cicéron, c’est celui que la multitude préfère et où elle se porte avec le plus d’ardeur. » On s’entassait pour voir non-seulement dans le voisinage de l’arène, mais sur les degrés des temples ou les terrasses des basiliques, et le long des rues qui montaient au Capitole et au Quirinal. La fête durait souvent plusieurs jours, et elle se terminait d’ordinaire par quelque grand repas où l’on régalait tous les assistans. Les tables étaient dressées sur la place, et qui voulait venait s’y asseoir. Pour qu’on pût regarder et manger à son aise, malgré les ardeurs du soleil. César eut l’idée de faire couvrir le Forum entier avec de vastes voiles qui abritaient tout le monde pendant les trois ou quatre jours que se prolongeait la fête ; Dion nous dit que c’étaient des voiles de soie. Cette magnificence devint aussitôt un usage, et même il arriva sous Auguste que, la saison ayant été très chaude, les voiles restèrent tendues tout l’été. Un spectacle plus ordinaire encore que les combats de gladiateurs était celui qu’offraient aux curieux les funérailles des grands personnages. Le cortège traversait toujours le Forum : on y voyait passer ces joueurs de flûte, de trompette ou de clairon, qui assourdissaient toute l’assistance, ces pleureuses qui se déchiraient la figure et s’arrachaient les cheveux, cette foule d’amis, de cliens, de serviteurs attachés à toutes les grandes maisons, enfin ces chars ou ces litières qui portaient les statues des aïeux; le nombre en devait être très considérable quand la famille était ancienne : il y en eut plus de six cents aux funérailles de Marcellus. Ce qu’il est assez difficile de comprendre, ce qui devait rendre l’encombrement incroyable, c’est que ces funérailles ne se détournaient pas du Forum, même quand il était déjà occupé par d’autres assemblées. On le sait par une anecdote célèbre que raconte Cicéron et que beaucoup d’autres ont rapportée après lui. L’orateur Crassus défendait un jour un de ses amis contre M. Brutus, un fort méchant homme, qui portait mal un grand nom et qui, après avoir dévoré sa fortune, gagnait sa vie à faire le métier d’accusateur. L’affaire était vive, car Brutus ne manquait pas d’habileté, et l’ardeur de ses haines le rendait parfois