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supposition n’est pas exacte. Il y a eu sans doute un temps, vers les premiers siècles de la république, où le Forum était plus vide qu’aujourd’hui. A l’exception de quelques temples, qui sont aussi anciens que la ville, il ne contenait alors que de misérables boutiques, les écoles publiques où se rendait Virginie quand elle fut aperçue par Appius, l’état de boucher où Virginius prit le couteau qu’il enfonça dans le sein de sa fille. Mais à partir du moment où Caton éleva la première basilique, on se mit à y bâtir des monumens de toute sorte. Presque tous ceux que nous y voyons encore ont été construits sous la république: l’empire n’a fait que les réparer. Ils n’ont donc pas empêché les assemblées populaires de s’y tenir. La place était à peu près ce qu’elle est aujourd’hui vers l’époque de César, quand Clodius et Milon s’y livraient de véritables batailles, quand Cicéron y foudroyait Catilina ou Antoine. Une raison d’ailleurs empêche qu’elle ait jamais pu être aussi vaste que notre imagination aime à se la représenter, c’est qu’il fallait qu’il fût possible aux orateurs de s’y faire entendre. Quelque force de poumons qu’on suppose à un Cicéron ou à un Démosthène, il est impossible de se les figurer prononçant leurs discours sur la place de la Concorde.

Les républiques anciennes se trouvaient dans un grand embarras quand elles avaient à construire leurs places publiques; il fallait les faire à la fois assez vastes pour contenir tout un peuple, et assez étroites pour que la voix de l’orateur ne s’y perdît pas. Puisque le Forum de Rome a été pendant plusieurs siècles le lieu ordinaire des assemblées politiques, il faut bien croire qu’il répondait à ces deux conditions. C’est un fait, et l’on doit l’accepter, même quand on ne peut pas très bien le comprendre. — Il nous faut donc admettre d’abord que les orateurs y pouvaient être entendus, alors même qu’ils n’étaient pas très bien écoutés, que leur voix parvenait à dominer ces assemblées bruyantes que l’on comparait aux flots de la mer irritée, où l’on se disait des injures, où l’on se crachait au visage, où l’on se jetait des pierres et des bancs à la tête. Peut-être la situation du Forum nous aide-t-elle à comprendre ce qui nous paraît d’abord un véritable prodige. Il est placé dans une sorte de bas-fond auquel on arrive par des rampes rapides. Vers le Capitole, c’est un vrai précipice; la pente est plus douce à l’extrémité opposée, vers l’arc de Titus, mais elle est encore assez prononcée; de tous les côtés, comme on disait, « on descendait» au Forum. Quand on songe que cette disposition des lieux, que le peu d’étendue de la place, que ces collines qui l’entourent, ces édifices qui l’enferment, sont très favorables à la voix, il devient un peu moins étonnant que les orateurs s’y soient fait entendre et qu’ils aient pu produire ces grands effets qu’on nous rapporte. — Il nous faut admettre