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de gymnase va volontiers d’un pays à l’autre; il est aussi bien chez lui à Cassel qu’à Marbourg, à Berlin qu’à Halle. »

Cette lettre ne semble-t-elle pas écrite d’hier? Elle est datée du 20 juin 1816. Ainsi, dès cette époque, l’unité allemande était faite pour les savans et pour les écrivains. L’histoire contemporaine nous apprend qu’elle est en effet née dans les universités, qu’elle y a trouvé ses plus chaleureux défenseurs et qu’elle y a encore ses plus ardens prosélytes.

Ce n’est pas de Gœttingue seulement que Ticknor rapportait ces impressions. Pendant les vacances, il avait visité Dresde, Leipzig et Berlin. En passant à Weimar, il avait fait une visite à Goethe, déjà vieux et vivant presque dans la solitude, comme un homme qui n’avait plus de compagnon digne de lui depuis que Wieland, Herder et Schiller étaient morts. Goethe se plaint qu’il n’y ait pas d’éloquence en Allemagne, le prêche est une déclamation monotone, il n’y a point de parlement; l’inspiration apparaît quelquefois dans la chaire du professeur, là elle n’est point à sa place, l’éloquence n’enseigne pas. Ailleurs le jeune voyageur rencontre des érudits dont le nom est allé jusqu’en Amérique; tous vivent avec simplicité, tous l’accueillent avec cordialité; mais une société vivante, animée, où les questions du jour se puissent discuter soit en discours substantiels à la mode anglaise, soit en conversations légères, comme cela se fait en France, une telle société ne semble pas exister en Allemagne. L’intelligence allemande vit de philosophie, de philologie, et non de beau langage.


II.

Ticknor quittait l’Allemagne en avril 1817. Vingt mois de séjour l’avaient si bien discipliné qu’il venait en France en d’assez mauvaises dispositions. Le changement de caractère le surprend tout d’abord; à mesure qu’il avance, de Francfort à Strasbourg, le peuple semble plus gai, plus ouvert, plus habitué à la vie du dehors, mieux habillé et en définitive plus léger. Dès Lunéville, il se sent vraiment en un tout autre pays. Cens, maisons, sabots, plaisanteries, tout est français. Quelque mal disposé qu’il fût, enclin à l’enthousiasme, les occasions d’admirer ne lui devaient pas faire défaut. Pour son début à Paris, il entre au Théâtre-Français. On jouait une médiocre tragédie, Iphigénie en Tauride, mais Talma représentait Oreste. La littérature grecque, que Ticknor a étudiée avec tant de dévotion dans les universités et dans les musées de l’Allemagne, la voilà vivante, palpitante sur la scène. Talma est un Grec par le costume, par les gestes, par les attitudes. Lorsqu’il se croit poursuivi