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on n’a plus, pour le définir, que des caractères qui peuvent appartenir aussi bien à l’être fini qu’à l’être infini, car l’intelligence est un attribut des êtres finis et de l’être infini ; la bonté, la sagesse, la puissance, la causalité, sont aussi des attributs communs à l’un et à l’autre. Le seul caractère incomparable, incommensurable, incommunicable, est d’être sa propre cause : cela seul est adéquat à l’absolu. Que ce soit une notion incompréhensible, il n’y a rien là qui doive nous arrêter, car il va de soi que l’absolu est incompréhensible; mais, tout incompréhensible qu’il est, il faut l’admettre, et admettre en même temps tout ce qui est contenu dans sa notion. Expliquons cette déduction, qui est loin d’être facile à saisir, et où M. Secrétan fait preuve d’une rare subtilité.

S’il y a une vérité évidente, c’est que quelque chose existe. Appelons « être » le principe qui fait que les choses existent. Le problème est de savoir quelles sont les propriétés essentielles de l’être, et comment on le définira. M. Secrétan pose d’abord en principe l’unité de l’être. Il n’y a qu’un seul être, et l’être est tout ce qui est. M. Secrétan se fonde sur cette raison, que la science exige l’unité, et que l’unité de la connaissance implique l’unité de l’être. Il faut donc commencer par accepter le principe du panthéisme, sauf à y renoncer plus tard. Sans vouloir mêler ici la critique à l’analyse, nous ne pouvons cependant nous empêcher de faire observer que c’est aller un peu vite en besogne : rien n’est moins évident que le principe posé; il nous semble qu’au point de départ il ne faut être ni panthéiste ni antipanthéiste, parce que les données du problème ne sont pas connues; mais laissons à l’auteur la responsabilité de sa démonstration, en faisant remarquer que, s’il part du panthéisme, ce n’est point pour s’y arrêter, c’est pour aller au-delà, et, comme il le dit, le réfuter en le dépassant.

Allons plus avant. L’être est un, soit; qu’est-il encore? Si nous considérons les êtres de la nature, nous voyons que leur existence se manifeste pour nous, d’une part, par la perception que nous en avons, de l’autre par les actions physiques et mécaniques qu’ils exercent les uns sur les autres. Or être perçu, exercer une action, ce n’est que la manifestation de l’être, ce n’est pas l’être lui-même. Pour que l’être soit véritablement, il faut qu’il y ait en lui quelque chose « d’intérieur, » un « en soi, an sich, » qui soit autre que ses effets extérieurs. S’il n’y avait rien dans l’être, comment aurait-il quelque chose d’extérieur? Comment ce qui ne serait rien en soi pourrait-il être perçu? Cet élément intérieur de l’être, qui lui est essentiel pour être, et qui en est en quelque sorte la base, est ce qu’on appelle « la substance. » La substance se distingue, suivant M. Secrétan, de « l’existence. » L’existence est l’apparition de la