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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/861

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bassin d’eau saumâtre; l’évaporation naturelle de l’eau sous l’influence du soleil d’été fait déposer le sel en cristaux sur les bords et le fond et le transforme en un riche champ de sel, dont la couche près du bord a 10 ou 12 centimètres d’épaisseur, augmentant peu à peu vers le centre. Ce lac a 2 milles de long et 1 mille de large; il en existe d’autres dans le voisinage beaucoup plus grands et dont le fond consiste en une couche de sel de 1 mètre d’épaisseur. Ces bassins admirablement blancs au milieu de cette plaine aride forment un contraste surprenant. On en peut extraire des milliers de tonnes de sel; le bord en est boueux, noir, et exhale une odeur fétide. Darwin a cependant constaté la présence d’un insecte vivant dans ce milieu repoussant et salé ; les rives sont en outre habitées par les flamans, qui préfèrent les lagunes d’eau saumâtre.

Les lagunes d’eau douce servent de point de concentration à tous les autres animaux répandus dans la pampa. C’est là que dans la plaine habitée viennent se grouper les animaux domestiques à certaines heures du jour, et, dans les temps de sécheresse, quand la réserve d’eau a disparu des lagunes où ils vont boire habituellement, c’est à la recherche d’autres lagunes plus favorisées qu’émigrent les chevaux et les bœufs par troupes innombrables qui s’augmentent à chaque étape des habitans des pays traversés. Ils partent ainsi sans autre guide que leur instinct pour un voyage de 100 ou 200 lieues à la recherche d’un peu d’eau et d’un peu de verdure, desséchant sur leur passage toutes les lagunes qu’ils peuvent rencontrer, marquant leur route d’une ligne de traînards qui se couchent pour mourir; ils s’arrêtent enfin quand ils trouvent à s’alimenter pour quelque temps, et ne reviennent que lorsque leur instinct encore leur annonce que les champs où ils sont nés ont reverdi.

Autour de ces petits bassins se réunissent aussi tous les animaux sauvages et lus oiseaux d’eau, si abondans surtout pendant la saison d’hiver, les flamans, les cygnes à col noir, les canards des espèces les plus variées, les oies sauvages, les ibis, les bécassines, les grèbes, plus au sud les pingouins, tant d’autres encore. Il serait difficile de rendre le spectacle magique qu’offrent au voyageur les approches d’une de ces lagunes à l’heure et à l’époque où tous ces animaux y sont réunis. L’arrivée du chasseur est annoncée de loin par le vanneau armé, toujours au guet, vraie sentinelle de la pampa, auquel le moindre événement arrache le cri d’alarme mille fois répété de tero-tero, qui lui a valu la substitution de ce sobriquet local à son nom patronymique. Ce bruit agaçant a mis en éveil toutes les familles, bariolées de rose, de blanc ou de gris, fort paisibles sur les bords fangeux de leur lieu de réunion. Le chaja est le premier à répondre par le cri que son nom imite,